Nos 50 albums préférés des années 70 : 41. Devo – Q : Are We Not Men? (1978)

Pas forcément les « meilleurs » disques des années 70, mais ceux qui nous ont accompagnés, que nous avons aimés : aujourd’hui l’immense album au titre duquel il n’existe qu’une seule réponse possible : « We are Devo! »

Devo 1978

Q: Are We Not Men? A: We are Devo!, le premier album de Devo, sort en 1978. Riffs froids, rythmes mécaniques, chant robotique, c’est un album punk, proto-new wave, décalé et grinçant. C’est aussi un manifeste, étrange et déroutant (même pour l’époque), qui déconstruit le Rock pour mieux en construire le futur !

Devo-Are-We-Not-Men-front-011978 : le punk a explosé il y a peu, et évolue déjà vers autre chose qui n’est pas encore une blague de mauvais goût. La disco triomphe. La new wave (et toutes les autres vagues) arrive. Le paysage musical change… Mais reste un peu pareil quand même, puisque les grands anciens (rock progressif, radio-rock, hard rock, rock tout court, etc.) sont encore bien là. Une drôle d’époque, une époque excitante. Il ne manquait plus qu’un groupe comme Devo ! Parce que le quintet américain – Mark et Bob Mothersbaugh, Jerry et Bob Casale et Alan Myers – ne ressemble pas à grand monde : les uniformes et les pots de fleurs sur la tête, les vidéos, les slogans géniaux (comme le titre de l’album), et évidemment la musique, tout est décalé. Devo ne rajoute pas simplement à la fantastique anarchie sonore de l’époque. Il envoie la musique dans une autre direction.

Devo Are We Not Men front 02Q: Are We Not Men? A: We are Devo! sort donc en 1978, mais le « projet De-vo » existe depuis plus longtemps. C’est au début des années 1970 que Mark Mothersbaugh et Gerald Casale se rencontrent à la Kent State University (Ohio). Tous les deux sont très marqués par la violente répression policière sur le campus de l’université en 1970, et, plus généralement, par la situation sociale. Ce qu’ils observent leur donne l’impression que l’humanité a non seulement fini d’évoluer, mais a aussi commencé à régresser, à dé-évoluer. Ce ne sont pas les seuls ni les premiers à penser cela, évidemment. Mais ils sont plus particulièrement inspirés par  Jocko-Homo Heavenbound, un bref essai de Bertram Henry Shadduck, pasteur créationniste anti-évolutionniste et anti-darwinien publié en 1924, inspiré au point de faire de Jocko Homo le personnage du morceau la face B de leur premier. Cette chanson se trouve par ailleurs sur la bande son de In the Beginning Was the End: The Truth About De-Evolution. Ce court film de 9 minutes, primé au Ann Arbor Film Festival en 1977, permet au groupe de se faire remarquer, de s’attirer les grâces de David Bowie et Iggy Pop, de décrocher un contrat chez Warner et un producteur hors normes, Brian Eno (une collaboration pas très facile, d’ailleurs : Devo trouvait parfois qu’Eno était trop « artiste », et cherchait à adoucir ou diversifier leur son).

Devo Are We Not Men back 02Le film est à hurler de rire. Il donne une bonne (et peu réjouissante) image de ce que signifie la dé-évolution. On y trouve deux morceaux, dont Jocko Homo donc, et on a une bonne idée de ce qui fait Devo et de ce qu’on entendra sur l’album. Une musique froide, répétitive, nerveuse et tendue, rigide et mécanique, hachée, dépouillée et minimale, dissonante. Les mélodies sont souvent assez rudimentaires, tenant plus de la harangue que du chant, même si quand ils s’y mettent, cela devient irrésistible (comme sur un Mongoloïd, par exemple). Le résultat est souvent bancal, mais groovy, plein d’une énergie incroyable, très punk quand même (il faut voir les concerts de l’époque pour se rendre compte de ce qu’ils sont capables de faire). Cela sonne souvent faux, en particulier les solos. Cela peut même être désagréable à la première écoute, déstabilisant en tout cas.

D’autant que le groupe utilise un mélange d’instruments rare pour l’époque – des guitares, mais aussi des synthés, une batterie électronique – qui contribue encore plus à créer cette atmosphère spéciale. Et, en plus, la musique de Devo est assez angoissante. Il faut dire que les paroles n’aident pas. La dévolution fait froid dans le dos. Jocko Homo, genre comptine, fait peur : le groupe répète pendant plus d’une minute « Are we not men? We are Devo« ; c’est délirant. Ou le mongoloïde de la chanson n’est ni plus ni moins que vous ou moi, tout le monde est devenu un mongoloïde (“And he wore a hat / And he had a job / And he brought home the bacon / So that no one knew” – Et il portait un chapeau / Et avait un boulot / Et il ramenait le bacon à la maison / De sorte que personne ne le savait). Pas très politiquement correct, mais nous sommes en 1978.

On pourrait passer tous les morceaux en revue, de Uncontrollable Urge, le premier, à Shrivel-up, le dernier, rien ne change, c’est le même mélange de frénésie et de riffs anguleux, de synthés dissonants et de batterie sèche, de chants robotiques et mécaniques, de cris hallucinés et de refrains repris en chœur (religieusement). Certains morceaux sont particulièrement tendus et chaotiques, comme Too Much Paranoias ou Gut Feeling – qui commence de façon tout à fait plaisante avant d’accélérer et de terminer dans le chaos, sans conteste l’un des meilleurs titres de l’album.

Mais il y a quand même deux morceaux un peu particuliers :  Mongoloïd, pas seulement à cause des paroles, mais parce que la musique est plus contrôlée, presque pop avec son irrésistible intro à la basse, sa mélodie parfaite, un solo de synthé tout à fait harmonieux… l’énergie que le groupe dégage est incroyable. Et, évidemment, (I Can’t Get No) Satisfaction, la reprise-déconstruction des Stones qui a fait beaucoup jaser lors de la sortie : parfaite illustration de la musique de Devo et du projet, une chanson saccadée, froide, heurtée ; la frustration de Jocko Homo n’est pas belle à voir.

Alain Marciano

Devo – Q : Are We Not Men?
Label : Virgin (UK / Europe) – Warner Bros (USA)
Date de sortie : 28 août 1978

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