Ce roman de Fabrice Sanchez décrit l’arrivée d’un jeune professeur de français dans un lycée en bout de course, avec des collègues en souffrance et un bâtiment qui se dégrade. L’auteur est précis dans sa description et retranscrit bien les cruelles désillusions derrière ce métier, tout en saisissant de jolis petits moments qui peuvent émailler une année scolaire.
Le personnage de ce roman est un professeur de français débutant, il commence sa carrière avec une grande motivation, dans le lycée Célestin-Pharamont. Ce personnage découvre ses fonctions en même temps que lecteur et il se rend compte rapidement des difficultés inhérentes à sa fonction. En alternance avec cet homme, le lecteur apprend aussi à connaître la voix de sa tutrice. Une enseignante chevronnée qui est là depuis trente ans et qui le conseille à plusieurs reprises sur la « bonne » façon de procéder. Elle pense détenir une forme de sagesse dans la gestion de la classe et n’hésite pas à en faire part à son collègue fraîchement arrivé.
Fabrice Sanchez déploie derrière le parcours de ce débutant, un instantané de l’Éducation nationale et de ses travers. Le professeur a des difficultés à faire cours et regrette un temps plus ancien, qu’il imagine plus tranquille. Une époque dans laquelle les élèves étaient moins réfractaires et moins insolents. C’est ce qu’il se dit très tôt et la fatigue, qu’elle soit physique ou nerveuse ne tarde pas à pointer le bout de son nez après les premières heures de cours.
L’auteur ne tombe pas dans le cliché ce qui est rare sur ce sujet. Il ne tombe pas dans la facilité et restitue très bien la complexité des rapports entre les enseignants et leurs élèves. On sent bien que l’institution est à bout de souffle et que ça craque de tous les côtés. Le bâtiment est insalubre et les réparations sont illusoires, sans véritable restructuration. Les élèves ont leurs cours dans des conditions plus que discutables. Les tensions au sein de l’équipe notamment avec l’équipe de l’administration sont bien présentes. Une charge supplémentaire pour ce débutant qui tente de tenir face à ces différents fronts. Enfin, il est aussi question d’une réforme qui ne fait pas sens pour l’équipe pédagogique et qui semble être encore une fois de la poudre aux yeux. On peut facilement faire des parallèles avec des réformes récentes du monde réel (qui ne s’inscrivent jamais dans le temps et sont modifiées à une vitesse vertigineuse).
J’ai eu un peu de mal à entrer dans ce roman, en découvrant ce professeur adepte des méthodes anciennes et sans beaucoup de nuances sur le travail avec sa classe et ses élèves. Puis, petit à petit, on réalise que l’enseignant affine son regard et fait des pas de côté pour comprendre les uns et les autres dans la classe, et d’ailleurs son enseignement s’en ressent. À l’opposé, sa tutrice devient aigrie, et son discours fait de moins en moins de place à la nuance, lui préférant des jugements hâtifs et définitifs sur les élèves.
Il se dégage à la fois de l’humour noir et un côté triste à la lecture du roman de Fabrice Sanchez. Le cynisme est bien présent et fait passer la pilule, mais pour autant on distingue derrière les saillies et les petites observations de l’auteur, la radiographie d’une institution qui continue de se dégrader de l’intérieur. Avec des personnels en souffrance, qui n’ont plus le temps ou l’énergie de prendre du recul sur les situations des élèves. Derrière le désenchantement de cet homme se cachent des problèmes bien plus profonds qui rendent la scolarité de nombreux élèves compliqués. L’école peut beaucoup, mais ne peut pas tout, et elle est aussi le réceptacle d’une société qui détériore de nombreuses autres institutions (comme les hôpitaux) et plus globalement les services publics. Grand poisson est un roman écrit au cordeau, qui laisse à penser et qui permet surtout d’entrevoir la complexité derrière le travail des enseignants dans cette grosse machine qu’est l’Éducation nationale.
Sébastien PALEY