Deuxième long-métrage de la cinéaste belge Laura Wandel, « L’Intérêt d’Adam » avance sous l’influence revendiquée de ses co-producteurs prestigieux, les frères Dardenne, avec deux stars au casting de cette plongée dans un service pédiatrique hospitalier sous tension. Pour un résultat intense, stimulant, mais aussi un peu étouffant pour le spectateur.

On avait apprécié Un monde, premier long-métrage de Laura Wandel, sorti en 2022. Cette plongée claustrophobique à hauteur d’enfant dans une cour de récréation, donnant un huis clos sec et tendu, dévoilait la naissance d’une cinéaste, définitivement à suivre. Trois ans après, voici donc venu le moment de la confirmation, avec L’Intérêt d’Adam, deuxième long-métrage de la cinéaste belge de 41 ans, bénéficiant du parrainage prestigieux des frères Dardenne (co-producteurs), ses maîtres revendiqués en cinéma, et dévoilé ce printemps à Cannes, l’un allant décidément souvent avec l’autre…
Le changement de braquet se voit d’une manière générale dans la multiplicité des financeurs, des deux côtés de la frontière franco-belge, et dans le casting, porté cette fois-ci par deux stars assez « bankables » en France, au moins auprès d’un large public « indé », Léa Drucker et Anamaria Vartolomei, là où Un monde foisonnait d’inconnus, et où la seule star était en bourgeonnement, un certain Karim Leclou, auteur d’une performance courte mais comme d’habitude décisive et marquante.
Et sur le plan artistique ? Pas de virage net marqué ici. Inspiré de la propre immersion de la cinéaste – scénariste dans un hôpital de Bruxelles, et d’une histoire qui lui a été rapportée, le film nous empoigne direct, nous plongeant dans l’enfer du quotidien d’un hôpital situé dans une zone jamais nommée, qui pourrait être située en Belgique comme en France (le tournage a eu lieu dans les hôpitaux d’Huy et de Liège). La caméra, portée à l’épaule la plupart du temps, épouse les faits et gestes de Lucy (Léa Drucker), infirmière confrontée durant une soirée à la gestion de cas difficiles dans son unité pédiatrique, en premier lieu remettre sur pied le petit Adam (joué par les frères jumeaux Jules et Léo Delsart), qui souffre de malnutrition. Devant s’appuyer sur la mère (Rebecca, incarnée par Anamaria Vartolomei) soupçonnée de maltraitance mais folle d’amour et tolérée par le système hospitalier pour aider l’enfant à s’alimenter, compte tenu de leurs liens forts, Lucy va être vite confrontée à un dilemme moral. Compte tenu de l’incapacité de la mère à respecter le cadre fixé par l’hôpital, et à aider Adam à s’alimenter, est-ce que l’infirmière doit continuer à respecter les règles et procédures de l’hôpital, qui la poussent à devoir « évacuer » la mère de la vie de son enfant, au moins quelques jours et sans doute de manière inévitablement durable ? Lucy peut-elle enfreindre les règles, une secrète empathie à l’égard de la mère, peut-être influencée par son propre historique personnel s’étant peut-être développée en elle ?
Sans spoiler trop, disons que le dilemme moral, contrairement à ceux des films des frères Dardenne, est vite évacué, et même, c’est une des surprises du scénario : il n’y en a pas vraiment, peut-être car il n’y a pas le temps de trop réfléchir, tout simplement, dans un univers d’urgences régi par la dernière urgence enregistrée, et car, aussi, comme cela est montré dans plusieurs séquences, c’est ici le système D qui prévaut en toutes circonstances, pour régler les situations, éviter les drames, surmonter le manque de moyens, ou parfois l’absence d’empathie, notamment de ceux détenteurs de l’autorité dans ce petit milieu.
Sec comme une trique, L’Intérêt d’Adam use des mêmes procédés de mise en scène qu’Un monde : filmage à l’épaule, un seul régime d’images constitué de longs plans-séquences nocturnes (souvent de 30 secondes ou 1 minute), sauf au milieu du film, où un événement fait dérailler temporairement l’intrigue, et où les plans et le montage sont nettement accélérés, sans doute afin de maintenir l’intérêt du spectateur et d’éviter une certaine monotonie inhérente à ce qu’il faut bien appeler la « patte Dardenne ». Même cadrage général, également, que pour Un monde : unité de lieu (l’hôpital), unité de temps (une même soirée) et unité d’action (l’intrigue principale autour des trois personnages principaux sert de fil quasi exclusif, à part quelques scènes rapides sur des intrigues ou cas secondaires, comme autant de brèves respirations pour le spectateur).
Le résultat à l’écran est, de manière logique, assez proche du premier long-métrage de Wandel. Le film affiche avant tout les mêmes qualités de mise en scène, d’intensité et d’impact sur le spectateur. Cette plongée quasi documentaire dans un univers, certes très fréquentée par séries et films ces dernières années, présente une puissance évidente, renforcée par celle de ses deux interprètes principales, chacune dans leur registre : Drucker en pythie post-huppertienne, femme forte et humaine, au milieu d’un océan de difficultés, mais qui a ses fragilités, Vartolomei comme un petit animal apeuré pris dans les phares d’un SUV se préparant à lui rouler dessus, et ne se croyant même plus prête à accepter une aide inespérée dans cette société dans la marge de laquelle elle essaye d’élever son enfant tant bien que mal. On aura également apprécié la performance discrète, mais efficace, d’Alex Descas, que l’on retrouve avec joie dans un second rôle important de pédiatre représentant un premier niveau d’autorité pour Lucy, et des frères Delsart dans le rôle du petit Adam. Ceux-ci ont été dirigés spécifiquement dans chacune de leurs scènes par la réalisatrice, et ont bénéficié, comme les enfants de son premier film, d’un coaching original et dédié, pensé pour des enfants de 4 ans (ce qui n’a rien d’évident). Tout cela est à mettre à son crédit tout comme la plongée quasi documentaire
Mais L’Intérêt d’Adam présente, aussi, les mêmes limites qu’Un monde : système filmique un peu trop systématique de par la répétition des plans-séquences, pouvant engendrer une sensation d’étouffement pour le spectateur, par ailleurs habitué en 2025, à ce qui était certes innovant au moment de Rosetta ; trop grande dépendance dans la « performance » des interprètes principale et, in fine, si le film touche, émotion qui a du mal à poindre vraiment devant cette histoire menée à toute berzingue, et avec un conflit moral pas vraiment traité, débouchant sur un mystère psychologique un peu opaque. Bref, Laura Wandel reste incontestablement une cinéaste de talent, en devenir, mais il lui reste encore à confirmer définitivement l’essai, en fendant un peu plus l’armure, et en tuant, si ce n’est le « père », les « frères ». Rendez-vous au troisième long-métrage donc…
Jérôme Barbarossa