Sprints – All That Is Over : Cabaret sauvage

C’était un défi pour le groupe irlandais SPRINTS : faire encore mieux sur son deuxième album que sur le premier, déjà très réussi. Il est relevé au-delà de toutes nos attentes avec le furibard All That Is Over.

Sprints Titouan Massé
© Photo Titouan Massé

 

Il est parfois des moments, dans la vie des groupes, où les trajectoires se croisent, et parfois même sur scène, lors d’une même soirée. Ce fut le cas en juillet dernier, où la Philharmonie programmait, dans le cadre du festival Days off, Bloc Party et SPRINTS. Les premiers, depuis bien longtemps sur la pente descendante, pour un concert best-of qui était plutôt un « worst of » de ce qu’ils pouvaient faire sur scène, son chanteur Kele Okereke passant son vie à remonter son short jusqu’à se faire aider par un roadie, peut-être une bonne métaphore de la déculottée artistique pour feu ce grand groupe, dépassé par plus grand que lui, en l’occurrence par SPRINTS qui assurait la première partie.

All That Is OverCe soir-là, à vrai dire, SPRINTS n’avait pas été grandiose, mais cela avait suffi pour éclipser la tête d’affiche. En dix chansons bien balancées, le quatuor irlandais avait confirmé tout son potentiel, sachant délivrer, avec justesse et ce qu’il faut de rage, certaines des nouvelles compositions de leur deuxième album à venir, notamment Descartes, le single tout juste dévoilé , justement ultra carré. Et avait su au passage canaliser au passage quelques errements de jeunesse en concert, qui nous avaient fait avoir quelques réserves sur leur premier passage parisien, en janvier 2024 au Point Ephémère, juste au moment de la sortie de Letter to Self, leur premier album, qui avait placé la barre très haut.

Un an et demi plus tard, la chanteuse et guitariste Karla Chubb et sa bande sont donc de retour, après un changement notable de casting (le lead guitariste originel, Colm O’Raghallaigh, a été remplacé par Zac Stephenson, également aux chœurs). Et avec un gros challenge : là où le deuxième album est vécu et vu comme un tournant pour la plupart des groupes de rock, celui de la confirmation (ou de la mort…), SPRINTS se devait de donner un successeur à Letter to Self, et donc, quelque part, avait beaucoup de chances de décevoir. Disons-le clairement, le challenge est amplement relevé : All That Is Over est une brillante réussite, et même la guitare de Stephenson s’avère plus tranchante au passage ! Au menu : power pop, punk, post-punk, garage, hardcore, du rock furibard à tous les étages et sur tous les tons au long de ces 38 minutes intenses et folles.

Il faut passer les deux titres d’ouverture, les plus doux (et mous…) de l’album (Abandon et To The Bone, un peu plus vénéneuse), avec lesquels les Irlandais ont choisi d’ouvrir, assez curieusement, l’album. Le reste est un pur déluge sonore, avec une série de brûlots punk et hardcore, aux guitares saturées bien comme il faut, et à la rythmique implacable, parfois aux relents post-punk (Descartes, Need, Beg, Pieces). Avec une production efficace et ne faisant pas dans la dentelle, les deux plus virulentes et speed du lot (Need et Pieces) sont des équivalents, du même niveau, de Territorial Pissings sur Nevermind, c’est dire ! Si la référence à Nirvana peut être écrasante, elle est aussi éclairante, car c’est bien dans les années 90 que SPRINTS puise le gros de ses influences. Ainsi, la ballade nerveuse et grunge Better, arrivant pour adoucir la deuxième partie de l’album, est dans le sillon creusé par des groupes tels que Breeders, Hole, Veruca Salt, et même Pixies si l’on en revient à la matrice. Le groupe irlandais a d’ailleurs indiqué que ces derniers étaient leurs héros, et que leur bonheur, et honneur, était d’avoir tourné avec les Lutins de Boston, récemment, pour en assurer la première partie. Coming Alive, morceau suivant sur l’album, est une power pop song où Chubb chante et vocifère de plus en plus, appuyée aux chœurs par ses acolytes, qui s’inscrit aussi dans cette veine.

Il faut également signaler la grande réussite que sont les morceaux en apparence plus ambitieux et moins référencés, que propose SPRINTS sur All That Is Over. D’abord, la ballade Rage, qui clôture la face A, et reste en apparence sous influence grunge, avec un texte minimaliste psalmodié par Chubb façon spoken word (« Rage », donc) avec plus de force que la mélodie elle-même, créant un léger écart interpellant pour l’auditeur. La pièce centrale, Something’s Gonna Happen, au milieu de l’album, et le final de grandiose de Desire, avec ses 6 minutes monumentales, sont les chansons qui en imposent le plus, d’une grande richesse mélodique avec leurs strates de guitares, leurs montées progressives puis leurs orgies de décibels. Dans la première, la chanteuse glisse que « the world has a bitter and cruel humor », ce qu’on ne peut contester en ce moment. Dans la seconde, une influence hispanisante étonne, avant que le groupe ne libère les grands chevaux punk, puis que la voix apaisée de la chanteuse ne termine la chanson, et l’album, sur fond de guitare acoustique, dans une éclaircie inattendue. Mais, surtout, dans ces deux morceaux marquants, c’est une autre influence, revendiquée mais plus discrète, de SPRINTS qui émerge dans les riffs et la tension progressive, celle de Sonic Youth. Celui de Goo, en l’occurrence, album-matrice du grunge (avec Dirty), celui des grandes plages et des envolées puissantes telles que Tunic (Song For Karen) ou Cindarella’s Big Score. Pas le Sonic Youth le plus noisy donc, mais le Sonic Youth le plus puissant, le plus impactant immédiatement pour l’auditeur, le plus rouleau-compresseur. Pour notre part, comme le reste d’ailleurs du catalogue du groupe new-yorkais, on adore ! Et on remercie le quatuor de Dublin de rappeler leur grande acuité, quatorze ans après leur split, au moment où reviennent sur les réseaux sociaux des interrogations quant à une éventuelle, et improbable, reformation.

De manière assez incongrue, donc punk, sur le plan du marketing, ce sommet artistique qu’est Desire conclut en beauté cet album qui s’affichera sans nul doute dans tous les palmarès de fin d’année, permettant à SPRINTS de changer de catégorie. Ce sera l’une des attractions de la « saison » de concerts en cours, avant celle 2026 des festivals (et d’une probable consécration plus grand public)… Dépêchons-nous donc de les voir, sur cette tournée « cruciale » du changement de dimension, avant qu’il ne soit trop tard, et que le groupe ne devienne, peut-être, une grosse machine, comme leurs compatriotes (plus poétiques et dark, plus post-punk en somme) de Fontaines D.C… même si, quelque part, c’est tout le mal qu’on leur souhaite.

Joie, décibels en pagaille et pogos en vue : ce sera possible dès octobre en France, sauf pour les Parisiens, qui, peut-être compte tenu du récent concert à la Philharmonie, devront patienter jusqu’au début du printemps, dans l’écrin du Cabaret Sauvage, curieusement retenu pour cette orgie punk annoncée. On a hâte !

Jérôme Barbarossa

SPRINTS – All That Is Over
Label : City Slang
Date de sortie : 26 septembre 2025

Prochains concerts en France : Saint-Brieuc (Salle de Robien) le 17 octobre, Le Havre (Le Tetris, dans le cadre du Festival Ouest Park, avec leurs intenses collègues dublinois de The Murder Capital), le 18 octobre, Joué-lès-Tours (Le Temps Machine) le 20 octobre, Nîmes (Paloma) le 21 octobre, Lyon (Le Marché Gare) le 22 octobre.
Puis en 2026 : à Tourcoing (Le Grand Mix) le 10 mars, à Paris (Cabaret Sauvage) le 28 mars.

 

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