« Donjon Parade, tome 12 – Chaos crescendo » : la boulette et le malaise

Herbert égare l’unique plan du Donjon. Classique déclencheur « Parade » : une gaffe, puis l’avalanche. Sfar et Trondheim orchestrent un enchaînement de gags bien huilés, que le trait souple de Mathieu Burniat transforme en page-turner léger mais efficace. Pourtant, peut-on rire aujourd’hui de l’extermination totale d’une ville et de sa population par nos “héros” ?

Chaos Crescendo image
© 2025 Sfar / Trondheim / Burniat / Delcourt

Le moteur comique, on le connaît. Dans la série Parade du Donjon, il n’est pas rare qu’un détail a priori insignifiant fasse boule de neige : dans Chaos crescendo, c’est la perte du plan complet du Donjon par Herbert qui déclenche une réaction en chaîne qui fait plaisir à (re)voir. Trondheim et Sfar s’en donnent à cœur joie : les dialogues sont vifs et drôlissimes, les personnages se chamaillent tout en menant leur mission à bien, le récit n’est pas avare en embardées absurdes… Et il y a même cette fois l’un de ces superbes trouvailles dont le tandem a le secret : cette cité dédiée aux livres (qui n’intéressent plus personne) et les moines copistes qui la peuplent et se sont détournés de leur mission pour se dédier avant tout au culturisme, c’est une bien belle métaphore de l’isolement croissant de la culture et de ceux qui y croient encore, au milieu d’une société qui ne s’y intéresse plus.

Chaos Crescendo CouvertureEt puis il y a le dessin de Burniat, qui s’adapte totalement au Donjon, pour se mettre à son service, offrant un travail parfaitement calibré pour la lisibilité : le dessinateur ne cherche pas l’épate graphique, le découpage est clair, les scènes d’ensemble restent parfaitement lisibles, les expressions des personnages sont fortes, le rythme est soutenu comme il convient à une comédie d’aventures. On tourne les pages avec plaisir.

Chaos crescendo ne peut pas être un « grand Donjon« , d’ailleurs aucun volume de Donjon Parade ne peut y prétendre : une fois encore, l’intrigue est trop courte par rapport à la complexité de tout ce qui a été mis en place, et la résolution est vite expédiée, voire bâclée (même si on appréciera la dernière page, à la manière d’une scène post-générique dans un blockbuster hollywoodien)…

Chaos crescendo est donc un joli divertissement. Ou plutôt le serait si quelque chose ne coinçait pas salement pour nous. Si la série a souvent joué avec la violence parodique et la cruauté, non sans désinvolture, Chaos crescendo met en scène et représente (de loin, ce qui n’est pas mieux) l’anéantissement pur et simple d’une ville entière et de sa population – et ce, décidé et mené par nos « héros ». En temps normal, on aurait lu cet épisode comme un pied de nez pessimiste à la logique du Donjon : la rationalité de décisions visant à atteindre un objectif (ici, récupérer une carte « dangereuse » ou la détruire) poussée aux extrêmes, donc au pire. Aujourd’hui, alors que l’actualité nous expose quotidiennement à des destructions de masse (on pense à Gaza en premier), l’effet de “distance comique” ne fonctionne pas, et la blague laisse un mauvais goût dans la bouche.

On connaît et on respecte depuis leurs débuts ces grands artistes que sont Sfar et Trondheim, et on ne saurait les accuser d’une quelconque complicité intellectuelle avec les monstres bien réels qui déciment en ce moment même des populations civiles. On veut bien croire à la maladresse, au mauvais timing, mais on ne peut s’empêcher de ressentir une gêne en refermant Chaos crescendo.

Eric Debarnot

Chaos crescendo – Donjon Parade T12
Scénario : Joann Sfar / Lewis Trondheim
Dessin : Mathieu Burniat
Couleur : Walter
Editeur : Delcourt
32 pages –  11,50 €
Date de parution : 11 juin 2025

Chaos crescendo – Extrait :

Chaos Crescendo extrait
© 2025 Sfar / Trondheim / Burniat / Delcourt

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