Vaisseaux spatiaux colossaux, planètes exotiques, cérémonies fastueuses, coups d’État brutaux, destructions massives, pouvoirs surnaturels et puissance des modèles mathématiques : la troisième saison de Foundation est une fresque à la démesure contrôlée, portée par une réalisation régulièrement magistrale. Grandiose, intense, parfois confuse, voire incohérente, voici une série désormais mémorable.

Mal reçue à sa sortie, en particulier par les adorateurs (qui ont bien raison, là n’est pas la question) de l’œuvre d’Isaac Asimov, Foundation est devenue en sa troisième saison une sorte de vaisseau amiral de la plateforme Apple TV+, surtout depuis la (très relative) déception qu’a été la seconde saison de Severance. Et force est d’avouer que, même si les défauts inhérents à cette adaptation impossible et à certains choix scénaristiques — visant à rendre tout cela un peu plus grand public — perdurent, cette troisième saison nous aura (presque) convaincus.
Car, en 2025, avec cette nouvelle offre de dix fastueux épisodes d’une heure, d’ailleurs pilotés par un nouveau showrunner, Tim Southam, secondant un David S. Goyer mis sur la touche, Foundation assume ce paradoxe d’être une série où la machine épique — vaisseaux, batailles, architectures impossibles — avance avec une assurance de super-production cinématographique (rien à envier à Star Wars ni à Dune, au contraire, même), tandis que ses paris d’écriture oscillent entre l’inspiration et la facilité : visuellement, Foundation séduit et impressionne ; dramaturgiquement, elle ose tout… au risque de trébucher parfois, notamment sur ce fameux twist final autour du personnage de The Mule (le Mulet en français) qui nous a semblé par trop artificiel, voire peu logique (… mais c’est peut-être nous qui sommes passés à côté de quelque chose dans les épisodes précédents, puisque nombreux sont ceux qui, sur la toile, célèbrent ce retournement de situation stupéfiant !).
Comme anticipé, cette troisième saison narre l’ascension irrésistible du Mulet (Pilou Asbæk, aussi naturellement répugnant que dans Game of Thrones), qui s’empare de planètes et de parties entières de la galaxie avec une facilité déconcertante, et les différentes tentatives de résistance à cet ennemi quasi surnaturel. Le tout dans un contexte angoissant puisqu’on approche de la date fatidique, d’après les calculs de Hari Seldon, de l’effondrement de l’Empire… Sauf que les derniers épisodes, littéralement formidables, révéleront que le danger ultime ne vient pas exactement de là où on l’attend.
La mise en scène, toujours impériale (c’est le bon terme), ose la monumentalité sans se vautrer dans la lourdeur : la série sait imposer ses décors en jouant sur les angles et sur la durée, mais aussi proposer des surgissements d’action lisibles au sein de ceux-ci. Mieux, elle sait faire résonner ses dialogues politiques : tous ces aspects de conflits souvent verbaux, avant que les armes ne prennent le dessus, entre un empire et ses planètes sujets plus ou moins rebelles, sont d’ailleurs clairement l’inspiration de George Lucas pour les scènes équivalentes de Star Wars, mais elles portent ici une véritable signification, et n’ont rien d’infantile ni d’artificiel. Car l’Empire des Cléons (des Clones), théâtre d’ombres jouant la partition d’un éternel retour, n’a jamais semblé aussi vivant : couloirs qui avalent les silhouettes, salles du trône écrasantes, cérémoniaux quasi religieux, brefs surgissements d’une violence extrême, tout impressionne. La musique sculpte un sentiment étouffant d’inéluctabilité ; la photographie varie ses registres avec un raffinement rarement vu en série SF.
Surtout, les personnages gagnent en densité, en complexité et en ambiguïté. Demerzel prolonge sa tragédie d’esclave omnipotente, assumant d’être l’ultime représentation de l’Empire, mais devant affronter un destin messianique ; Hari Seldon, assez absent cette fois, affronte la tragédie de sa non-matérialité, et laisse tomber le masque de la figure tutélaire bienveillante ; Gaal reconnecte la fresque à l’humain, au doute, à l’amour ; le Mulet est un pirate aux pouvoirs démesurés, certes parfois caricatural, mais réellement terrifiant dans sa toute-puissance. Mais il y a, avant tout… l’Empire : chacune des trois figures de cette génération suit ici une trajectoire différente et passionnante. Tandis que Brother Dawn et Brother Day s’ouvrent au doute et à la collaboration avec leurs ennemis tutélaires (Fondation bien sûr, et aussi une étonnante secte adoratrice des Robots disparus, qui surgit — de manière un peu improbable, mais qu’importe, dans la dernière partie de la saison), c’est cette fois Brother Dusk (Terrence Mann, très convaincant) qui marque la saison : ses certitudes rongent peu à peu sa raison, et sa folie croissante devient le miroir déformant d’un système qui se décompose, puis s’auto-détruit dans une stupéfiante flambée de violence. C’est là une vision joliment et terriblement politique (Poutine et Trump, pensez-y !) : la dictature, machine à nier la singularité et la réalité, produit in fine la démence comme un déchet toxique.
Si le succès de cette troisième saison n’est pas intégral, c’est comme toujours que subsistent certains tunnels narratifs, que la multitude fils narratifs, même s’ils sont bien gérés, n’évite pas complètement la sensation habituelle de zapping de l’un à l’autre, et que, on l’a dit, alors que Foundation a bâti sa singularité sur une tension fertile entre la psychohistoire (un cadre logique, statistique, presque froid) et le romanesque (l’amour, le goût du pouvoir, la cupidité, les croyances, religieuses en particulier, l’irrationnel des actes humains), le curseur bascule parfois du côté du “voilà ce qui vous surprendra”, au risque de diluer la crédibilité patiemment installée.
La saison 3 est sans doute la plus belle, la plus intense : grandiose, souvent dérangeante, occasionnellement incohérente — parfois inoubliable quand elle filme la chute intérieure de personnages dévorés par leur destin. Si la saison 4 corrige la tentation du “twist facile” et capitalise sur ces portraits d’hommes et de dieux fatigués, Foundation peut régner sur le paysage audiovisuel mondial.
On se retrouve en 2027 pour en reparler.
Eric Debarnot