Neil Hannon était à Paris ce vendredi, pour un showcase suivi d’une séance de dédicaces, chez Gibert Musique, à l’occasion de la sortie de Rainy Sunday Afternoon. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu…
C’est en courant sous les trombes d’eau, qui remplissent les rigoles du boulevard Saint-Michel, que l’on rejoint Gibert, fidèle vigie du 5ème arrondissement pour les amateurs de musique, pour un showcase de The Divine Comedy, curieusement programmé un vendredi soir à 18h. On arrive juste à l’heure pour le début du showcase, prévu pour durer de 18h à 18h30. Un petit espace a été aménagé devant le rayon variétés et rock français, un mur de vinyles et de CDs du dernier album de Neil Hannon a été aménagé, dans le voisinage du nouveau Bertrand Belin, dont le « WATT » au graphisme évanescent figure également en décor d’arrière-plan élégant. Une petite centaine de spectateurs ont pris place, entre les rayons, un peu comme ils le peuvent, comme nous le pouvons, pour assister à cette demi-heure que l’on pressent à la fois hors du temps, et « sympa », prétexte à une séance de dédicaces et à la vente d’albums. On imagine aussi que l’homme doit être de bonne humeur : l’album, qui a eu des critiques unanimement élogieuses en Europe, est entré numéro 4 dans les charts britanniques (et numéro 1 des charts indépendants), soit son 6ème Top 10, ce qui, commercialement, n’est pas rien.
Ce mini-concert, d’abord, est, même pour les vieux fans, un moment de plus en plus rare : il s’agit d’un showcase « solo », sans Joby Talbot & Co, ses complices habituels, sans même parler de la section de cordes qui les rejoint dans les tournées. Neil Hannon seul à la guitare et au chant, alors que nous n’avons plus vraiment d’occasions de le voir à la guitare : il s’en déleste pour se concentrer sur le chant dans les « vrais » concerts en groupe, y compris pour ses showcases récents au Royaume-Uni. A 18h00 donc, Neil, en costume noir comme à son habitude, commence, comme sur son dernier album, par une belle version d’Achilles, chaudement applaudie, par la petite troupe chenue. Jusqu’ici, le chanteur semble de bonne humeur, il fait la blague attendue sur ce « rainy Friday afternoon », qui fait rire son public, tout va bien. Dès le deuxième morceau, la magnifique chanson conclusive de l’album, Invisible Thread, le démiurge irlandais prévient qu’il ne l’a pas jouée depuis longtemps en solo, « on va voir ce qu’il va se passer », sourit-il. En effet : Neil oublie les paroles sur un couplet puis se plante dans un accord… Le public applaudit chaleureusement, car même gentiment bâclée, cette chanson d’au revoir à sa fille qui quitte le foyer familial (elle est aux chœurs sur la version enregistrée), est juste bouleversante, impossible de ne pas être touché : « Now go, spread your little wings and fly / Smile, you don’t need a reason why / Leave if you’ve got to leave, just know / There will always be an invisible thread / Between you and me »…
Et c’est alors que le train va véritablement dérailler, Neil cassant une corde en essayant d’accorder sa guitare, en vue de The Heat is a Lonely Hunter, LE sommet du dernier album, minimaliste et bouleversant. Conservant son calme, on sent Neil légèrement énervé contre lui-même, et, dès lors lâchant à sa propre attention plusieurs fois des excuses pour sa « bad attitude », « so unprofessional », même en souriant… Changeant de guitare, il enchaîne curieusement sur Songs of Love, publiée il y a bientôt 30 ans sur Casanova, comme pour se rassurer, même si cela n’est a priori pas l’objet dans un concert promotionnel, avant de s’arrêter à mi-chemin : « bon, vous connaissez la chanson par cœur, vous pourrez finir de l’écouter chez vous ! » La suite : on reste dans Casanova, au cas où il y aurait le moindre doute quant au fait que cet album-totem est aussi visiblement son doudou, sa zone de confort, avec Becoming More Like Alfie, autre chef d’œuvre, cette fois jouée presque en entier (mais la chanson est courte !).
A nouveau des excuses pour la corde cassée, il décide, visiblement décidé à l’honorer, de se lancer dans Secret Hunter, dans une tonalité légèrement différente, mais proche. Le crooner réussit à distiller l’émotion frémissante et bouleversante de la chanson, même dans des conditions dégradées. Et… « That’s all ! » On croit à une blague typique de l’humour au troisième degré de l’intéressé, mais non, Neil salue, visiblement contrarié par ses problèmes techniques qu’il s’est un peu auto-attribués, et évacue à quinze mètres de là, dans la zone prévue pour les dédicaces. Vingt-deux minutes au chronomètre, des ratés, même rigolos, à tous les étages : les retrouvailles avec la guitare ne se sont visiblement pas passées comme prévues. Ou alors, autre hypothèse, l’homme est peut-être fatigué de ces « obligations » promotionnelles. Mais, c’est ainsi : on l’aime quand même ! Sentiment unanime de frustration, et d’amour pour sa musique, néanmoins, partagé par les fans présents.
La suite ? Une heure de séance de dédicaces où Neil Hannon s’est heureusement rattrapé, donnant de son temps et de sa personne, notamment pour des photos avec lui, proposés systématiquement avec l’appui d’une collaboratrice de PIAS. Ceci rendra l’attente un peu longue, tout en permettant d’observer la troupe des fidèles : beaucoup de cheveux gris, de quadras et de quinquas bien sûr, Christophe Conte (faisant stoïquement la queue, comme tout le monde), et même, trois ou quatre jeunes… Devant moi, une adolescente bretonne, dont je m’étonne de la présence, tient son vinyle de Casanova à faire dédicacer, m’expliquant qu’elle tient son amour de The Divine Comedy de « [son] père, qui a des goûts sûrs, écoute des choses bien ». Un ange passe. Elle sera heureuse de le voir en concert à Rennes, car la tournée française passe par plusieurs grandes villes. Vient enfin le court moment avec Neil, affable, même si, évidemment, je ne peux faire le poids après ce témoignage d’affection d’une jeune fan : face à cela, « Well, what can you do ?!? », appuie-t-il, rigolard. Pas grand-chose, en effet. « Well, we all grow old ! » Sentiment raccord avec celui à l’origine de l’album, qu’il évoque d’interview en interview – Rainy Sunday Afternoon est le témoignage d’un homme de 54 ans qui a subi diverses épreuves, le décès de son père de longue maladie, le départ de sa fille du foyer…. mais n’exclut pas un certain entrain, et son humour habituel, entre deux chansons empreintes de mélancolie et de profondeur métaphysique.
Au passage, je le félicite pour l’édition Deluxe, qui comprend une sélection de 14 chansons live témoignant de sa rétrospective donnée à Londres et Paris il y a 3 ans, mais aussi de choix inattendus : « oh oui, on a sélectionné vraiment toutes les chansons les plus obscures auxquelles personne ne pense ! » , appuie-t-il en la dédicaçant. Et pourquoi cette chanson cachée (My Lovely Horse, enregistrée au Barbican de Londres), à l’ancienne, sur ce deuxième disque, est-ce que ce ne serait tout simplement pas pour faire qu’il y ait 7 chansons enregistrées à Londres comme 7 à Paris, pas de jaloux ? « Ce facteur n’est certainement pas entré en ligne de compte ! » répond-il, appliqué à reproduire les accents de mon prénom dans sa dédicace. On n’en saura pas plus dans l’immédiat, mais ce n’était pas le lieu, et il fallait laisser la place aux suivants, et derniers de la file. Nous espérons y revenir plus tard, sur Benzine, car de toute façon « on revient toujours à Neil Hannon« .
Et nous retournerons bien sûr voir The Divine Comedy à l’occasion d’un vrai concert, en groupe, lors de la tournée à venir en Europe continentale début 2026 (qui fera un arrêt notamment à la Salle Pleyel à Paris les 2 et 3 mars, dernières places disponibles à cette heure pour le deuxième soir). Neil en groupe, superbement accompagné, sans sa guitare : cela devrait être, comme toujours, magnifique, amusant, touchant, inoubliable.
Non noté
Jérôme Barbarossa
The Divine Comedy (Neil Hannon) chez Gibert
Date : le 3/10/2025
En concert les 2 et 3 mars 2026 à Paris (Salle Pleyel), le 4 mars à Toulouse (Bikini), le 11 mars à Bordeaux (Le Rocher de Palmer), le 12 mars à Nantes (Stereolux), le 13 mars à Rennes (le MeM)…