« Marche ou Crève » de Francis Lawrence : la trahison des morts qui marchent…

On savait l’adaptation à l’écran de l’excellent The Long Walk de Stephen King impossible, et ce n’est pas le peu brillant Francis Lawrence qui va contredire cette opinion. On imagine néanmoins que ceux qui n’ont pas lu le livre trouveront des qualités à Marche ou Crève.

Marche ou crève
Copyright Lionsgate

The Long Walk (« La Longue Marche » étant pourtant, avec sa référence à la révolution maoïste, un bien meilleur titre que le très basique « Marche ou crève », assez loin de l’esprit du livre) est l’un des meilleurs – parmi les très efficaces et courts – romans de Richard Bachman. Sous ce pseudonyme, Stephen King se libère volontairement de son obsession parfois lourde pour l’analyse psychologique et la création d’un environnement riche et complexe pour ses belles histoires fantastiques. Dans The Long Walk, ce choix crée un effet d’abstraction tout à fait pertinent au regard du symbolisme assez simple de cette épreuve atroce, par laquelle passent de jeunes hommes dont la vie est d’ores et déjà brisée par la cruauté du régime fasciste qui a pris le contrôle des États-Unis.

Marche ou crève afficheComme tous les excellents livres focalisés sur une histoire très simple, respectant l’unité de lieu (une route, sur laquelle on marche jusqu’à la fin, non de la route, mais de ses forces), de temps (la durée de la marche) et d’action, dont la majorité des péripéties se passent dans la tête du protagoniste, une adaptation cinématographique paraissait impossible. Francis Lawrence (« M. Hunger Games »), en dépit de son goût pour les mondes dystopiques où la jeunesse se révolte contre le pouvoir, ne semblait pas assez ambitieux pour en démontrer le contraire. Et de fait, son Marche ou crève, malgré des critiques plutôt positives, aussi bien aux États-Unis qu’en France, ne pourra que décevoir les aficionados du livre.

Car finalement, à la différence de la lecture des 350 pages du livre, qui sont toutes passionnantes, on s’ennuie gentiment devant le film, qui devient terriblement répétitif (Marche ou crève se focalise sur un personnage qui commence à avoir des difficultés, physiques ou mentales, et hop ! il se prend une balle dans la tête…). Et surtout, même si l’on a, au début, le sentiment que le film est fidèle au livre, Lawrence et son scénariste J. T. Mollner s’en éloignent considérablement, et la plupart de ces changements s’avèrent être des erreurs flagrantes. Nous passerons sur la fin, très différente, mais apparemment approuvée par King, qui abandonne le nihilisme existentiel original – splendide, à nos yeux – pour une colère politique clairement dirigée contre la dictature (heureusement sans la fausse consolation d’un happy end) : cette fin appauvrit le thème de Marche ou crève, mais a le mérite – ou, tout au moins, nous l’avons lue comme telle – de suggérer que la révolte violente contre la dictature est pertinente, un message fort dans le contexte de ce que vivent les États-Unis en ce moment.

C’est plutôt tout le reste qui pose problème : l’échelle réduite de la course (une centaine de marcheurs dans le roman, qui ne sont plus que cinquante ici, sans doute pour des raisons budgétaires) contredit le soi-disant impact médiatique national de l’événement ; l’abandon de l’ancrage géographique réaliste dans un Maine bien réel, pour une localisation « floue » peu convaincante (le film a été tourné au Canada), pousse le film vers la fable plutôt que la chronique réaliste – et donc plus marquante – que King nous livrait ; la matérialisation de la figure, à l’origine lointaine et bureaucratique, du « Major » en un « méchant » bien présent et plus visible, responsable qui plus est du malheur du héros, permet certes à Mark Hamill de nous livrer une interprétation impeccable, mais crédibilise mal l’existence d’une telle dictature ; l’absence des foules au bord de la route, omniprésentes dans le roman, qui faisaient de la marche un spectacle, incarnant une société qui non seulement se soumet mais consent à la cruauté du fascisme, modifie la température politique (moins de satire du voyeurisme général, mais à la place une sorte de représentation du « désert moral » dans lequel erre la société) ; l’élimination du personnage de Jan (la petite amie de Garraty) déplace la motivation du héros, qui paraît certes moins adolescente (tenir, se montrer à la jeune femme qu’il aime), mais le dépouille d’un moteur finalement très crédible.

Mais le plus gros problème du film de Lawrence est le traitement des personnages secondaires (autres que le « couple » formé par Garraty et McVries) : ils sont tous privés d’histoire, de substance, de tout ce qui aurait justement permis qu’ils ne soient pas seulement réduits à être des ressorts scénaristiques. On comprend bien le choix de mettre au centre du film deux personnages — un Noir et un Blanc — dont l’amitié et la fraternité permettent de faire passer des messages positifs (et souvent très émouvants, voire larmoyants) sur les valeurs morales que Trump et ses complices républicains sont en train de détruire à toute allure. On ne peut néanmoins s’empêcher de trouver ça très « hollywoodien », finalement, très stéréotypé et convenu, bien loin de la complexité psychologique typique des livres de Stephen King. Finalement, le seul bon côté de ce scénario, c’est qu’il permet à deux jeunes acteurs formidables d’occuper pleinement l’écran : le subtil Cooper Hoffman (le fils du génial Philip Seymour Hoffman) confirme tout le bien qu’on a pensé de lui dans Licorice Pizza, tandis que David Jonsson, déjà frappant dans Alien: Romulus, crève littéralement l’écran.

Gageons que c’est grâce à leur performances, et en dépit de la répétition inutile et déplacée de scènes gore, que le film séduit et séduira le grand public… surtout s’il n’a pas lu le livre !

Eric Debarnot

Marche ou crève (The Long Walk)
Film en coproduction USA / Canada de Francis Lawrence
Avec : Cooper Hoffman, David Jonsson, Mark Hamill
Genre : drame, science-fiction, politique
Durée : 1h48
Date de sortie en salles : 1er octobre 2025

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