[Live Review] Gogol Bordello et Split Dogs au Trianon (Paris) : indestructible !

Un peu plus de deux ans après leur passage à l’Elysée Montmartre, Eugene Hütz et son Gogol Bordello nous ont offert samedi soir un concert plus que magnifique au Trianon, peut-être l’un des meilleurs qu’on ait vu d’eux. Prouvant pour le coup leur capacité à restaurer notre foi en l’humanité en ces temps difficiles.

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Gogol Bordello au Trianon – Photo : Eric Debarnot

Octobre 2025 : la guerre se poursuit en Ukraine, et Poutine ne laisse transparaître aucun désir d’y mettre fin. Gogol Bordello repasse à Paris, au Trianon comme il y a 8 ans. Le slogan « Solidaritine », avec le poing levé aux couleurs du drapeau ukrainien, est toujours là au fond de la scène, comme il y a un peu plus de deux ans à l’Élysée Montmartre, mais nous sommes moins nombreux dans une salle un peu plus petite : l’effet d’un week-end de début des vacances de la Toussaint, ou bien de l’inévitable entropie qui érode tout, notre enthousiasme vis-à-vis du genre « gipsy punk » qui ne fait plus recette, et notre indignation devant l’épreuve vécue par les Ukrainiens ? Mais je suis bien pessimiste, avant que la soirée ne commence… et je compte bien sur Eugene Hütz et son habituelle énergie positive pour me redonner foi en l’humanité !

2025 10 18 Split Dog Trianon (15)19h30 : d’ailleurs, pas même besoin d’attendre, si on a quelques doutes existentiels, les Anglais de Split Dogs vont se charger de les dissiper en 35 minutes d’un punk rock’n’rollesque bien furieux, et pourtant généreux et souriant (la combinaison gagnante, on le sait bien). Le quatuor de Bristol – par ailleurs très actif dans la scène queer locale – joue pied au plancher des chansons de deux minutes trente qui adhèrent aux principes du genre, avec des mélodies évidentes, des refrains faciles à brailler, des riffs qui tuent, et une petite composante métal qui va bien (Mil, le guitariste, arbore un t-shirt Guns N’ Roses), Harry, l’impressionnant·e chanteur·se headbangue de manière démentielle sans craindre pour ses vertèbres cervicales. Et ces braves gens, en plus d’adopter une attitude punk radicale, jouent bien, et explosent les clichés à force d’énergie et de conviction. Le public répond impeccablement, et tout le monde est heureux, sur scène et dans la salle. À première écoute (car je ne connaissais pas le groupe avant), plus belle tuerie : AND WHAT?

2025 10 18 Gogol Bordello Trianon (15)20h40 : un peu de retard au démarrage pour Gogol Bordello, mais pas de raison d’être inquiet, dès les premières notes de Sacred Darling, l’évidence s’impose : le concert va être énorme, non seulement au niveau sonore, mais aussi émotionnel. On se souvient qu’à l’Élysée Montmartre – incontestablement une salle plus « froide » que le Trianon –, la prestation de Gogol Bordello avait été très violente, très punk, au détriment de l’esprit festif qui a caractérisé le groupe depuis ses débuts. Ce soir, l’équilibre entre la frénésie – ces morceaux joués à cent à l’heure, avec l’objectif d’entraîner le public dans des danses effrénées – et la passion est mieux préservé, ce qui signifie beaucoup, mais beaucoup de plaisir. Si la première partie de la soirée suit exactement la même setlist qu’en 2023, on sent bien que le groupe est plus dans la joie, l’enthousiasme et le partage : le classique qu’est désormais Wonderlust King fait littéralement des merveilles.

Le groupe est sensiblement le même que celui de 2023, avec deux changements qui vont s’avérer importants dans la réussite de la soirée : la forte présence du guitariste new-yorkais virtuose Leo Mintek, qui fait pencher certains morceaux du côté le plus rock de la musique de Gogol Bordello, et l’ajout d’une nouvelle accordéoniste, Erica Mancini, dont la complicité avec l’incontournable vétéran qu’est Sergey Ryabtsev au violon offre à la musique un nouvel axe solide autour duquel elle peut pivoter.

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Et c’est avec Dance Round A Fire – une sorte de version remaniée, totalement festive de Fire on Ice Floe et de son refrain accrocheur –, et avec la participation enthousiaste de Kay et Victoria de Puzzled Panther, duo new-yorkais parrainé et produit par Eugene, que le concert va basculer franchement du bon côté de la fête. On se rappelle que Puzzled Panther ne nous avait pas franchement emballés la dernière fois, en première partie de Gogol Bordello, soyons honnêtes… Mais là, leur énergie s’additionne à celle des sept membres du groupe de manière parfaite. Et d’ailleurs, elles jouent ensuite un de leurs titres, From Boyarka to Boyaca, qui s’intègre impeccablement dans le set.

On entre alors dans la partie inattendue de la soirée, avec des nouveaux titres pas encore sortis, qui, curieusement, s’aventurent sur un terrain beaucoup plus indie rock, avec Eugene qui joue même (du jamais vu, il me semble) de la guitare électrique ! Une évolution possible, que l’on vérifiera – ou pas – sur le prochain album.

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La dernière ligne droite du set principal permet, sans surprise, d’enchaîner les morceaux préférés des fans, les Mishto!, Start Wearing Purple (joué dans une version plus courte que d’ordinaire) et Pala Tute, avant le final désormais habituel, la reprise du Solidarity des Angelic Upstarts. Les nostalgiques des Specials noteront au passage un court extrait de Gangsters, tout en regrettant que peu de gens autour de nous semblent avoir remarqué cette sucrerie.

Après une heure vingt-cinq déjà copieuse, voici venir le moment du rappel, avec le seul moment calme – temporairement – de la soirée, le très beau Alcohol, joué en solo par Eugene, avant que Sergey puis Erica ne le rejoignent pour un rare Through the Roof ‘n’ Underground qu’on chante avec plaisir avec eux. Le groupe tout entier revient alors sur scène pour le final grandiose, une magnifique version de Undestructable, transcendée par une belle reprise en son centre du TV Eye des Stooges (histoire de nous confirmer qu’Eugene retrouve ses racines rock ?).

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Et si on avait assisté à l’un des meilleurs concerts donnés par Gogol Bordello depuis ses débuts ? Le groupe, en dépit de ses changements réguliers de personnel, semble avoir atteint une belle maturité : tous les morceaux sont formidablement bien interprétés par des musiciens virtuoses, prouvant que l’esprit punk n’est pas incompatible avec l’amour de la musique bien faite et bien jouée. Gogol Bordello réussit toujours ce tour de force : parler de révolte et de solidarité sans didactisme, en maintenant cette jubilation organique que la scène punk a souvent perdue.

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Mais le plus important sans doute, c’est qu’au même moment, aux États-Unis, des millions d’Américains descendent dans la rue pour protester contre la destruction de la démocratie par les bandits de l’équipe de Trump. Et que, sur la scène du Trianon, nous avons pu écouter des chansons de rébellion venues d’Amérique Latine, d’Europe de l’Est, jouées avec enthousiasme et foi en l’avenir. Parce que ce goût de la liberté est, lui… « indestructible ». Et c’est sur le Redemption Song de Bob Marley que nous avons quitté le Trianon. Le cœur empli de courage et de joie.

PS : Pour la petite histoire, il faut noter qu’un fan déchaîné, à nos côtés dans les premiers rangs, portait une magnifique maquette complète de moto sur sa casquette. Amazing !

Split Dogs :
Gogol Bordello :

Eric Debarnot

Gogol Bordello et Split Dogs au Trianon
Production : Radical
Date : le samedi 18 octobre 2025

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