Alors que The Celtic Social Club va sortir son cinquième album, qui les voit élargir leur territoire en nourrissant leur « musique celtique » d’influences folk et rock indépendants, il nous paraissait intéressant de faire le point sur leur trajectoire atypique.

Né presque par hasard sur la scène des Vieilles Charrues en 2014, The Celtic Social Club devait être un projet éphémère, un simple « coup » entre musiciens désireux de faire danser la tradition bretonne sur des rythmes rock. Dix ans plus tard, le groupe est toujours là, plus soudé et aventureux que jamais : une bande de musiciens venus d’horizons variés. Quelque part entre les Pogues, The Clash et la Mano Negra, sur disque comme sur scène, la musique du Celtic Social Club respire la fête, l’énergie collective, et cette conviction qu’on peut moderniser les musiques « de terroir » sans les trahir. C’est Manu Masko, le « leader » et batteur du groupe, qui a répondu à nos questions. Avec tellement d’enthousiasme – à l’image de la musique du groupe – que nous allons devoir publier son interview en deux chapitres !
Benzine : The Celtic Social Club est né de l’idée de faire entrer la musique celtique traditionnelle dans le monde moderne. Avec le recul, comment cette mission a-t-elle évolué au fil des années — et vous considérez-vous toujours comme un “pont” entre le passé et le présent ?
Manu : Avouons-le, partir de l’idée de moderniser la musique celtique, c’était sans doute un brin prétentieux. Et puis, il faut rappeler qu’il n’y a pas une musique celtique, mais des musiques celtiques : l’irlandaise, la bretonne, l’écossaise, la galloise, celles des Asturies ou de la Galice… Avant de vouloir la moderniser, il fallait déjà intégrer cette diversité. L’idée, dès le départ, c’était de brasser ces influences, d’ouvrir les fenêtres et de s’affranchir des dogmes, tout en respectant une règle essentielle : le tempo, parce que c’est lui qui porte la danse.
Donc non, il ne s’agissait pas tant de “moderniser” que de prendre des risques, confronter ces mélodies à d’autres univers, les faire respirer autrement. Le tout premier morceau du groupe, The Celtic Social Club, partait d’une vieille mélodie asturienne qu’on a transformée en reggae. On avait invité Winston McAnuff – McAnuff, évidemment, parce que “écossais” !
Benzine : Quand vous écrivez du nouveau matériel, qu’est-ce qui vient en premier – le motif traditionnel ou l’énergie contemporaine ?
Manu : Notre histoire commence à remonter un peu maintenant. La première fois qu’on a travaillé à La Sirène, à La Rochelle, c’était en 2013. À l’époque, on partait presque toujours d’une vieille mélodie traditionnelle, souvent datant du XVe, XVIe ou XVIIe siècle. C’était notre base, notre terrain de jeu. Avec le temps, on s’est émancipés. On a commencé à créer de manière plus instinctive, à partir d’une grille d’accords, d’une rythmique, d’un chant. Notre songwriting à nous en quelque sorte. L’ADN celtique est toujours là, mais il n’a plus besoin d’être revendiqué. Il est en nous, tout simplement. Alors qu’est-ce qui vient en premier ? Il n’y a pas de règle. C’est souvent le premier qui balance une idée. Ça peut être une mélodie, un beat, une énergie. C’est organique, spontané, collectif. Et puis parfois l’un d’entre nous, souvent Goulven ou Taylor, arrive avec quelque chose de sérieusement ficelé que nous devons nous approprier.

Benzine : Le groupe a connu plusieurs changements de line-up au fil des ans. Comment cela a-t-il affecté la chimie du groupe et le processus créatif ? Avez-vous le sentiment que The Celtic Social Club d’aujourd’hui est un groupe différent de celui qui a démarré en 2014 ?
Manu : Au départ, The Celtic Social Club devait être une création unique pour le Festival des Vieilles Charrues. On monte un répertoire, on joue devant 45 000 personnes… et on devait s’arrêter là. Sauf que ça ne s’est pas du tout passé comme prévu. Apres un vrai succès aux Charrues, le plaisir était trop fort, l’envie aussi. Très vite, j’ai voulu pousser le bouchon plus loin. On est partis en tournée et le projet est passé d’un one-shot à un collectif. Et un collectif, par nature, ça vit, ça bouge. Certains sont repartis vers leurs projets, d’autres sont arrivés. Petit à petit, on est devenus un vrai groupe. Oui, on a eu quatre chanteurs, ce qui est assez rare dans l’histoire des groupes de rock.
Mais j’ai une théorie là-dessus : un groupe, c’est comme un club de foot. Il y a un style, un blason sur le maillot, une identité, et des joueurs qui passent. Le chanteur, c’est un peu l’avant-centre – celui qu’on regarde, celui qui marque. Et quand il part, tout le monde se dit « ça va être dur ». Mais il y a toujours un nouveau joueur qui arrive, pas forcément meilleur individuellement, mais souvent plus juste dans le collectif. À chaque changement, le groupe s’est renforcé. Le nouveau chanteur a toujours su absorber l’énergie du précédent et apporter sa propre couleur. Finalement, ces passages de relais ont consolidé l’identité du Celtic Social Club.
Benzine : Votre nouvel album semble à la fois une continuité et un renouveau de l’esprit du Celtic Social Club. Quelles étaient les principales idées ou émotions qui ont guidé cet enregistrement, par rapport à vos précédents albums ?
Manu : D’abord parce que ça faisait trois ans qu’on n’avait pas sorti de disque original — il y a eu le Covid, puis le best-of Inventory pour les dix ans du groupe – mais surtout parce que c’est le premier album avec Taylor Byrne, notre chanteur venu de Dublin.
C’est notre label, Aztec, qui nous a relancés après le BEST-OF: « Allez, il faut repartir en studio, votre public vous attend. » On s’est donc retrouvés tous ensemble dans une pièce pour recommencer à créer. Deux morceaux sont sortis très vite. Mais pour la première fois, moi qui était en charge depuis le début de la production je me suis retrouvé complètement vide face à la copie. Impossible de savoir dans quelle direction aller en terme de son. La nécessité d’un producteur extérieur est devenue et évidence.
Notre choix s’est porté sur Nick Davis, un producteur que je connaissais de nom, notamment pour son travail avec Genesis, les Pogues ou XTC. Ce qui m’intéressait chez lui, ce n’était pas tant le son de Genesis ou autres que sa capacité à manager des fortes personnalités dans des groupes à la vie riche de diversités – ce qu’il a fait pendant plus de vingt-cinq ans, avec Genesis par exemple. On a enregistré deux titres tests avec lui, en se disant : « On verra si ça colle. » Et ça a tout de suite marché. Nick nous a immédiatement dit : « Vous êtes un excellent groupe de live. Oubliez tout ce que vous faisiez avant en terme de production d’album. » C’est vrai qu’on avait pris l’habitude d’enregistrer chacun de notre côté, à distance. Là, il a imposé une autre méthode : tous dans la même pièce, micros à l’ancienne, bonne console, bon préampli, bonne chanson, bons musiciens, bons repas. On joue, on enregistre, on mixe. Pas de blabla. Et ça, ça a été une vraie redécouverte du son du groupe, brut, organique, vivant. Les deux premiers titres ont été une évidence, et on a décidé de faire tout l’album comme ça, ensemble, avec Nick.
Benzine : On ressent une forte impression d’unité et d’optimisme dans les nouveaux morceaux. Était-ce une réaction consciente aux temps plus sombres que nous avons collectivement traversés, ou quelque chose de plus instinctif ?
Manu : L’unité, c’est vraiment le mot-clé. Ce qu’on vit aujourd’hui, c’est la force d’un groupe qui avance ensemble, qui a traversé les changements de line-up, les hauts et les bas, et qui reste debout et qui a toujours les yeux qui pétillent. On a joué devant 50.000 personnes, mais aussi dans des clubs américains ou anglais où il y avait cinq personnes. Il y avait plus de monde sur scène que dans la salle. Et ce sont ces cinq-là qui, la fois suivante, en ramènent trente, puis cinquante, parce qu’ils ont ressenti quelque chose de vrai. Tout ça, ça forge un groupe.
Dans ces moments-là, soit tu t’épuises, soit tu deviens plus fort.
Je pense qu’aujourd’hui, le Celtic Social Club est un groupe inarrêtable, parce qu’il est bâti sur un casting en or. Et c’est ça la leçon de ces dix dernières années : un bon groupe, ce n’est pas une addition de bons musiciens, c’est une alchimie. Comme au foot : tu peux avoir les meilleurs joueurs, si ça ne joue pas ensemble, ça ne fonctionne pas. Là, tout le monde pousse dans la même direction. Et cette énergie collective, tu la sens dans les morceaux, comme sur scène. C’est ça qui donne ce côté explosif, cette lumière un peu à contre-courant de la morosité ambiante. Peut-être que c’est ça, finalement, l’essence même du rock’n’roll.
(A suivre)
Propos recueillis par Eric Debarnot
You Should Know, le nouvel album de The Celtic Social Club, sortira chez Aztec Music / PIAS le 24 octobre 2025