Septième album en vingt ans, The Besnard Lakes are the Ghost Nation prolonge fidèlement le rêve psychédélique du duo montréalais. Moins dramatique que ses prédécesseurs, ce disque apaisé préfère la clarté à la tempête : preuve qu’on peut encore, en 2025, faire du rock cosmique et politique sans perdre la foi en la lumière.
Il est pour le moins navrant qu’après plus de vingt ans de carrière, les Montréalais de The Besnard Lakes n’ont pas encore gagné en France une plus grande notoriété : leur prochain passage sur scène à Paris est une fois encore programmé au Supersonic, une salle qui accueille normalement les jeunes groupes débutants, cherchant à percer avant ou avec un premier album. Il est vrai, néanmoins, que ce nouvel disque studio, The Besnard Lakes are the Ghost Nation n’est que le septième en deux décennies, et que ses prédécesseurs n’ont jamais surpris leurs fans par leur originalité, le groupe ne déviant que très peu de son sillon psyché, rêveur et contemplatif, mais néanmoins régulièrement puissant et noisy : car, s’il existe un groupe qui a su parcourir, disque après disque, un territoire sonore immédiatement reconnaissable et pourtant exigeant, c’est bien celui de Jace Lasek et Olga Goreas. Ce qui nous fait craindre que cette nouvelle production ne change pas fondamentalement les choses, malheureusement…
Mais si le titre, mentionnant une mystérieuse « nation de fantômes » (ou « nation fantôme »), semblait promettre un disque hanté, spectral peut-être, il s’agirait en fait plutôt de célébrer ici la persistance des émotions, des communautés, de ce qui survit en dépit des fractures (sociales, politiques), ce qui résiste aux effacements successifs. The Besnard Lakes s’interroge sur ce qui subsiste – en nous, entre nous – lorsque tout semble menacé de disparition : on a le droit d’y voir une déclaration politique – indirecte, certes -, alors que chez les proches voisins états-uniens, la dictature trumpiste lamine allègrement et systématiquement ce qui ne rentre pas dans son programme.
Pourtant, le paradoxe est que cette réflexion – potentiellement plutôt sombre – se traduit musicalement par une approche bien plus apaisée que sur leur impressionnant album précédent, The Last of the Great Thunderstorm Warnings : moins de drames, moins d’emphase, plus d’espace, une lumière plus douce… On retrouve bien sûr les guitares qui déferlent, les harmonies vocales très pures d’Olga et de Jace, et ces envolées dont ils ont le secret, qui font le plus grand charme de The Besnard Lakes. Mais tout semble ici plus contenu, plus sage aussi. Le son est très maîtrisé, la ferveur du chant respire la sincérité, et la lumière entre régulièrement à flots.
Dès l’ouverture, Calling Ghostly Nations, le ton est donné : il y a des nappes de claviers, il y a des voix suspendues, et il y a bien entendu cette lente montée vers la lumière. On reste dans le même registre avec Chemin de la Baie, puis Carried It All Around, celui d’une beauté vaporeuse, floue, à l’image de la photo de pochette quasiment non figurative, avec ces mélodies qui semblent s’étirer sans jamais faiblir, ni se rompre.
C’est In Hollywood, titre plus court (les trois précédents varient entre 6 et 7 minutes), qui apporte une (petite) rupture, avec un rythme plus appuyé, plus « rock », plus « heavy » psyché » : les ombres s’épaississent, et on retrouve des territoires plus immédiatement jouissifs, proches de ceux des précédents albums. De la même manière, la seconde partie du titre suivant, le très beau Pontiac Spirits, s’élève avec une force plus impressionnante encore.
Battle Lines et The Clouds Are Casting Shadows from the Sunlight ralentissent le tempo, et refont le choix d’une atmosphère aussi lumineuse qu’éthérée, qui ravira ceux qui préfèrent leur Beauté plus mélancolique, moins démesurée. Et le final, Give Us Our Dominion, est porteur d’un sentiment tangible d’apaisement, d’équilibre préservé face aux tourments du monde : le lyrisme est bien présent, mais reste parfaitement contrôlé, comme si la maturité acquise par le groupe au fil des années constituaient la forme de résistance la plus efficace.
Par rapport à certains sommets précédents de la discographie de The Besnard Lakes, ce nouvel album semble moins flamboyant, moins immédiatement enthousiasmant. Il exige certainement une écoute plus patiente, et que l’auditeur se laisse dériver librement au fil de la musique, pour en ressentir pleinement les émotions. Il faudra maintenant voir ce que ces nouveaux titres donnent, transcendés par l’expérience live : on se retrouvera donc au Supersonic pour en juger.
Eric Debarnot
The Besnard Lakes – The Besnard Lakes are the Ghost Nation
Label : Full Time Hobby
Date de sortie : 10 octobre 2025