« Mémoires d’un traître », de Hugues Barthe : le beau récit d’une émancipation sociale

Dans sa nouvelle BD autobiographique, Hugues Barthe revient sur son enfance, entre un père autoritaire et une mère soumise. À travers la découverte de la littérature, de la musique et des rencontres décisives, il raconte son émancipation sociale. Un récit touchant et sincère.

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© Gallimard BD

Hugues vit chez ses parents, à la campagne, coincé entre une mère au foyer et un père dominateur, cassant, parfois violent avec elle, et qui ne se gêne pas pour exhiber sa virilité dès qu’il le peut, fier d’exercer le métier de plombier. Un métier d’homme, comme il se plaît à le répéter à son fils, qui ne s’intéresse guère à cette activité manuelle, contrairement à ses deux frères, dont l’un travaille avec le père. Hugues se sent en décalage total avec ses parents, qui ne s’intéressent à rien, sinon à leur train-train quotidien. Il préfère se réfugier dans la lecture ou le dessin pour combler l’ennui, dans ces années 70 où il n’y a pas grand-chose à faire l’été, lorsqu’on habite loin de la ville.

memoires-dun-traitreEt puis, un jour, il fait la connaissance d’un couple de voisins récemment installés. Il tombe sous le charme de Viviane, une femme ouverte sur le monde, éprise de littérature et de musique, avec laquelle il s’entend aussitôt. Elle va lui faire écouter des disques, lui apprendre quelques accords de guitare et l’emmener au cinéma à Montbéliard, en 1978, voir Midnight Express.

On retrouve Hugues Barthe dans un récit tel qu’il en a le secret, racontant avec toujours autant de sensibilité et de justesse son enfance, ses années d’émancipation, la manière dont il a dû gérer les émotions liées à son homosexualité, à une époque où il restait encore tant à faire pour la reconnaissance et la visibilité des minorités.

Ici, comme dans ses précédents livres, il n’occulte rien des moments difficiles qui ont émaillé son adolescence, subissant la tyrannie d’un père qui frappait sa mère. Il met l’accent, plus précisément, sur la manière dont il a réussi à s’extraire de son milieu, et comment, par exemple, la lecture d’œuvres littéraires majeures (comme la découverte des livres d’Annie Ernaux), a été une révélation, lui permettant de comprendre qu’on pouvait s’élever socialement grâce à l’art, qu’il était possible de quitter un univers sans horizon et de trouver une forme d’émancipation par la culture, dans les villes.

Avec son style élégant et précis, et un sens du récit qui fait mouche à chaque page, Hugues Barthe dresse un portrait de famille touchant, parfois dur, dans lequel il ne juge personne, mais dresse d’abord un état des lieux de ce qu’a été son enfance, avec des parents qui ont fini par accepter de le voir s’accomplir à travers le dessin. Un cheminement qui lui a permis, en fin de compte, de s’éloigner définitivement de ce monde rural étouffant où, malgré les grands espaces, les habitants ne sortent jamais vraiment de leur enclos, passant leur temps à jaser et à se juger mutuellement pour oublier leur pauvre condition.

Une belle réflexion intime sur l’émancipation sociale et sur le fossé culturel qui existait, il y a trente ans et plus, entre les campagnes et les villes. Aujourd’hui, les choses ont un peu évolué, mais le fossé reste encore important malgré tout.

Benoit RICHARD

Mémoires d’un traître
Récit et dessin :  Hugues Barthe
Editeur : Gallimard BD
160 pages – 22,90€
Date de parution : 10 septembre 2025

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