ELLiS·D, on l’avait aimé, l’année dernière, à Petit Bain. Cette fois, on en est ressortis groggy et convertis. Au Supersonic, il a prouvé qu’il n’était pas juste un original, mais qu’on avait affaire à un nouveau prodige issu de la scène de Brighton.

ELLiS·D, ça fait un petit moment que les « sachants » nous en parlent. Une première écoute de Hullo, Reality!, l’album sorti en 2023 par le jeune névrosé de première classe Ellis Dickson (encore un artiste hors du commun issu de la scène de Brighton !) ne nous avait pas totalement convaincus, avec un côté David Byrne déjanté qui accrochait l’attention mais ne séduisait pas totalement. Notre point de vue a alors changé quand nous avons pu voir Ellis sur scène, il y a un an, en première partie de Fat Dog à Petit Bain : le brio du jeune artiste, son originalité évidente – la musique qu’il propose n’ayant rien à voir avec à peu près quoi que ce soit d’autre – et sa capacité à monter en intensité avec un naturel confondant, le distinguaient clairement du lot. Malgré tout, nous avions loupé son nouvel album, Spill, paru en mars de cette année, et nous nous sommes pointés au Supersonic sans soupçonner la tempête que nous allions affronter… Mais rembobinons d’une paire d’heures…
20h30 : La soirée commence avec un groupe de Bagnolet, Tapage, qui nous séduit dès son premier titre, dans un genre musical risqué, celui du rock énergique mais à grosse composante humoristique. Le quatuor arbore un look sérieux (cravates, chemises, lunettes noires, et tout), mais le chanteur dégaine un mégaphone à sirène pour mettre le feu dès le premier titre. Les textes, en français, sont malins, comme celui de Cafard, et le groupe explore des genres musicaux plutôt variés : à un moment (sur l’intro efficace de Flash), on peut repenser aux débuts fantaisistes de Starshooter, à un autre on s’aventure dans un garage punk nerveux et élégant (Mets le Gaz), très convaincant… avant de finir avec une reprise pas terrible du Manu Chao des Wampas. Le groupe s’égare franchement dans le genre « drôle pas vraiment drôle » sur Monique, un titre qu’ils disent « cheesy » mais qui est tout simplement une mauvaise plaisanterie et du mauvais rock franchouillard, alors que Tapage vaut bien mieux que ça. D’ailleurs, ce sont d’excellents musiciens, comme on le voit sur High, un titre littéralement illuminé par une partie de guitare exceptionnelle. Bref, un vrai potentiel, à condition de réduire l’humour « bas du front », et de garder le cap en termes d’ambition musicale. Ils disent vouloir suivre l’exemple de Viagra Boys, cela nous paraît une excellente idée !
21h30 : C’est maintenant le tour de Solar Eyes, duo de Birmingham qui commence à faire son trou Outre-Manche : il propose un rock très basique – trois accords maximum – martelé avec une conviction arrogante (très anglais, ça, l’arrogance) par un chanteur peu sympathique, avec une nette coloration Primal Scream qui peut gêner. Quelque part, les titres ressemblent à du The Jesus & Mary Chain sans le noise et la méchanceté, ou du Stooges sans la violence (reprise finale de quelques mesures de I Wanna Be Your Dog, pour bien valider notre opinion…) : donc du rock qu’on devrait aimer (et d’ailleurs certains titres fonctionnent en effet !), mais trop délavé, affadi pour être convaincant. Admettons toutefois que l’impact du live de Solar Eyes est limité par l’absence d’autres musiciens qu’un batteur, avec la majorité des sons préenregistrés. Bref, ce n’est pas inintéressant, il faudra peut-être les revoir, mais ils ont loupé cette première occasion de nous embarquer dans leur trip.
22h30 : Et arrive enfin ELLiS·D, et ce à quoi nous allons assister dans les cinquante minutes qui vont suivre n’a pas grand-chose à voir avec le beau, mais encore relativement sage, concert d’octobre 2024. Le groupe autour d’Ellis nous semble totalement différent, à l’exception de la petite bassiste. Et on ne sait pas si c’est cette nouvelle configuration ou si c’est l’orientation prise désormais par Ellis, mais dès l’incroyable intro de près de sept minutes, le niveau d’intensité est radical : Chasing the Blue est une grande « balade » sur des montagnes russes vertigineuses, pleines de lentes ascensions asphyxiantes et de brutales descentes suffocantes. C’est presque du Rock progressif, ou plutôt ça en serait, si ce n’était pas aussi extrême. Par rapport à la version – très belle – de l’album Spill, il y a une violence qui permet de transcender le lyrisme parfaitement excessif du chant et de la guitare flamboyante d’Ellis. Mais ce n’est que le début, et on ne sait pas encore que tout le set ne sera qu’une montée en puissance : la musique atteindra régulièrement une violence singulière, la frénésie des musiciens étant décuplée par le lyrisme presque démentiel des compositions et de l’interprétation d’Ellis.
« C’est comme être dans une machine à laver » nous confie une amie, en oubliant de préciser que le mode permanent est celui d’essorage rapide. Et l’inconfort que la musique peut parfois provoquer est accentué par les éclairages catastrophiques du Supersonic : ce soir, on bat tous les records, les lumières blanches palpitantes braquées sur nous alors que les musiciens jouent dans l’obscurité, sont redoutables pour les migraineux-ses !
Ce sont évidemment les morceaux du nouvel album qui sont à l’honneur, et de Hullo, Reality!, le précédent, ne subsiste que le « classique » (très Talking Heads, pour le coup) Degenerate Effeminate, et son accélération irrésistible… Juste avant une version parfaite de Humdrum, merveille de Spill, qui permet au concert d’atteindre des sommets dont il ne redescendra pas. I Want to Be Everything You Desire, le nouveau single, est bien le tourbillon d’hystérie attendu, mais c’est le monstrueux, et très long et fracturé final de Drifting qui envoie le Supersonic, rempli ce soir de vrais fans du groupe, et non du public habituellement peu motivé des week-ends, sur orbite : Ellis va faire sa petite séance de crowdsurfing qui va bien… et c’est fini !
… Enfin, pas exactement, car le groupe revient tout de suite pour un brûlot punk moins original que ce qui a précédé, mais néanmoins très satisfaisant, datant de ses débuts : Secret on Your Sleeve.

Cette fois, c’est terminé, nous sommes littéralement épuisés, mais aussi ravis de la confirmation que ce concert d’ELLiS·D nous a apporté : voici un artiste qui pourrait bien devenir incontournable dans les années qui viennent. Espérons le revoir très vite, et dans des conditions de lumière plus confortables que celles que le Supersonic nous a offertes ce soir.
Tapage : ![]()
Solar Eyes : ![]()
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Eric Debarnot
