Rita est femme de chambre dans un hôtel trois étoiles et elle rejoint au début du roman ses collègues pour une grève qui dénonce leurs conditions de travail et la précarité dans laquelle elles vivent au quotidien. L’auteur décrit les trajectoires de vie de ces femmes qui militent pour leurs droits et qui découvrent dans quelles mesures elles peuvent se mobiliser.

Dans ce roman qui met en scène des femmes de chambre grévistes, on pense tout de suite à un autre évènement bien réel celui-ci, la grève des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles en 2019, à Paris. Une lutte de vingt-deux mois dans laquelle des femmes se sont mobilisées et ont refusé de travailler dans des conditions déplorables. Elles ont refusé de continuer à être invisibilisées comme lorsqu’elles devaient manger à l’extérieur de la cafétéria de l’hôtel. Elles ont lutté collectivement et c’est ce qui a amené Romuald Gadegbeku à écrire ce livre. En s’inspirant de cette grève fondatrice en 2019, l’auteur s’arrête à son tour sur une mobilisation similaire qu’il imagine dans Les gréveuses. Un roman qui est donc à la fois une fiction et en même temps, on sent tout le travail documentaire derrière qui permet de rendre cette grève crédible tout comme les parcours de ces personnages (l’auteur précisera d’ailleurs dans une interview avoir rencontré certaines femmes mobilisées lors de cette grève de l’Ibis Batignolles).
Rita élève seule ses deux adolescents, Christian et Loïc, mais son salaire de femme de chambre rend son quotidien difficile. Elle parvient à leur faire plaisir de temps à autre, mais la précarité guette. Et lorsque ce ne sont pas des problèmes d’argent, ce sont les douleurs chroniques induites par son travail qui rendent les journées difficiles. C’est dans ce contexte qu’elle se joint à une grève dans l’hôtel dans lequel elle travaille (l’Inside), avec Aminata, Diva ou encore Mariama. Des femmes qui vivent des situations similaires et qui ont décidé que cela ne pouvait plus durer.
Les revendications concernent plusieurs sujets à commencer par leurs conditions de travail. Il est question de ces conditions qui se dégradent lorsqu’elles sont payées à la tâche, et qu’aucune heure supplémentaire n’est comptabilisée. Il est aussi question de la précarité de leurs contrats lorsque l’hôtel a décidé de sous-traiter le ménage des chambres. Elles demandent à être intégrées à la société qui dirige l’hôtel, sans être invisibilités et en consolidant leurs statuts. Leur travail est essentiel et l’établissement ne fonctionnerait pas sans elles et pourtant, elles subissent de la violence sous toutes ses formes et le roman montre très bien ces mécanismes pas toujours visibles, mais réellement maltraitants.
Une violence qui s’inscrit dans les corps lorsque les produits qu’elles utilisent abîment leurs peaux, lorsque les gestes répétés cassent des dos ou lorsque les cadences imposées épuisent le corps tout entier. Mais cette violence ne résume pas la condition de Rita et de ses collègues, qui ont des contrats précaires et sont invisibilisées dans l’entreprise qui les exploite. Romuald Gadegbeku retranscrit avec précision derrière la fiction, cette exploitation et surtout les conséquences que cela peut avoir sur les vies de ces femmes, au-delà du travail.
Les gréveuses est un premier roman marquant, que je trouve très bien amené et qui donne de l’écho à des luttes dont on parle peu. C’est un roman sur les forces insoupçonnées que l’on peut mobiliser, sur les ressources surprenantes que l‘on peut convoquer et c’est dans la lutte que ces femmes vont le réaliser. À aucun moment l’auteur n’adopte une position surplombante et on discerne toujours plusieurs lectures derrière les scènes vécues par Rita, que ce soit sur le piquet de grève ou à son domicile avec ses deux garçons. Romuald Gadegbeku restitue bien les engrenages qui rendent ces vies difficiles voire invivables, jusqu’à dans la sphère intime des principales concernées. Un roman à découvrir et à faire lire autour de soi, pour continuer à mettre en évidence ces méthodes crapuleuses et les vies que cela détruit.
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Sébastien PALEY
