Film glaçant, On vous croit nous plonge au cœur d’une audience dans le bureau d’une juge aux affaires familiales, et met en scène une mère dévastée par le mal-être de ses enfants, face à son ex-mari que son fils accuse de viol. Entre présomption d’innocence et obligation de protection, le difficile travail d’une justice imparfaite mais désormais à l’écoute de la parole des enfants.

On vous croit : trois petits mots qui changeront tout. Ce sont ceux, qu’après avoir entendu leurs témoignages, la juge adressera à Lila et Étienne, des mots qui, à eux seuls, ont le pouvoir d’ouvrir la voie à leur reconstruction. Lila et Étienne : une adolescente et un petit garçon venus avec Alice Pierron, leur mère, expliquer devant la juge aux affaires familiales pourquoi ils refusent, depuis deux ans, tout contact avec leur père. Assignée en justice par son ex-mari, Alice sait que cette audience est décisive pour l’avenir de ses deux enfants.
On vous croit : au cœur de ce court film (1h18), la confrontation dans le bureau de la juge (Natali Broods) et par avocats interposés entre Alice (Myriem Akheddiou) et son ex-mari (Laurent Capelluto). Est aussi présent l’avocat des enfants, qui, eux, ont été entendus juste avant. Un face-à-face ou plutôt un côte-à-côte tendu de 55 minutes, tourné en temps réel avec trois caméras. Un huis-clos théâtral mettant en scène une joute verbale très codifiée dont le point culminant sera le très long témoignage – 35 minutes – d’Alice. Il vise d’une part à démonter les accusations de la partie adverse – elle serait une mère hyper protectrice, physiquement et psychiquement fragile, cherchant par ressentiment à détourner les enfants de leur père. D’autre part à battre en brèche les préconisations de l’avocat des enfants – leur permettre de rétablir un lien avec leur père. Et surtout à faire triompher la vérité : l’évidence d’une famille détruite par les agressions sexuelles qu’a fait subir, deux ans auparavant, le père à son fils, transformant Etienne (Ulysse Goffin) en un petit garçon renfermé et agressif, souffrant d’encoprésie et en voie de déscolarisation, sous le regard impuissant d’une mère à bout de nerfs et d’une soeur (Adèle Pinckaers) qui, soudain, s’est mise à négliger ses études.
On vous croit est un film glaçant. On y reçoit de plein fouet la détresse d’une mère seule pour affronter la lenteur et les méandres des procédures judiciaires tandis que ses enfants s’enfoncent dans le malheur. La violence que leur fait subir, de plein fouet, le fonctionnement de la justice. La mauvaise foi ou l’aveuglement des avocats du mari et des enfants. C’est ce que souligne avec discrétion, la musique de Lolita del Pino, où accordéon, percussions, piano viennent accompagner la tension et les remous intérieurs des protagonistes. Le jeu de Myriem Akheddiou, que l’on a déjà vue dans plusieurs films des frères Dardenne, traduit avec subtilité les nuances des sentiments qui traversent une Alice fragile et désemparée face à un ex-mari placide, si sûr de lui dans l’affirmation de son innocence qu’il en paraît parfois crédible. Épuisement, découragement, colère, angoisse, révolte, dégoût… Et surtout amour inconditionnel pour Lila et Etienne. Autant d’émotions que révèle la caméra en les saisissant, souvent en plan serré, sur son visage douloureux mais toujours digne, avant d’aller chercher les réactions qu’elles suscitent sur le visage de ceux qui l’écoutent. Et d’observer, dans le cadre très ritualisé d’une audience, la difficulté de chacun à ne pas intervenir sur-le-champ – une tentation que vit aussi intérieurement le spectateur.
On vous croit a un évident Intérêt documentaire, bien que son parti pris ne soit pas entièrement naturaliste. Le souci d’ authenticité des réalisateurs se traduit par le choix de vrais avocats dans leur propre rôle, auxquels ils ont laissé une part d’improvisation. Certes, l’affaire se passe en Belgique mais sans doute le fonctionnement de la justice française n’est-il pas très différent. Domine le sentiment du justiciable de n’être pas entendu : convocations impliquant la nécessité de redire sans cesse les mêmes choses, peu de cas fait du simple souhait des enfants de ne pas croiser leur père au tribunal – indifférence, négligence ? La justice est-elle donc une belle machine froide et déshumanisée à l’image de ce vaste lieu, blanc et désert, où elle est rendue ? Est-elle aussi labyrinthique que le suggèrent les couloirs et les escaliers où on ne peut que se perdre ? Ne contribue-t-elle pas, ainsi, à raviver les blessures des victimes au lieu de les soigner ? Le film ne tombe jamais, pourtant, dans une satire facile de la justice. Il préfère illustrer la difficulté et la grandeur de la fonction de juge – comment choisir entre devoir de protection et présomption d’innocence ? – en montrant une audience conduite de façon exemplaire par une femme remarquable de rigueur et d’humanité, dont la parole fera renaître l’espoir chez Alice et ses enfants.
On vous croit : le titre l’annonçait, l’intérêt est moins dans le suspens quant à la réalité des faits reprochés au père que dans le crédit accordé à la parole des uns et des autres. C’est bien la parole qui est au centre du premier long-métrage de Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys et en assure la tension permanente : froideur impersonnelle de la parole judiciaire, fébrilité inquiète de la parole d’Alice. Parole des enfants, surtout, trop souvent ignorée ou dévalorisée, et qui trouve enfin, ici, sa reconnaissance.
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Anne Randon
