Seizième année de carrière, septième LP : White Lies ralentissent, respirent et mûrissent. Night Light éclaire ses angles sombres et réduit la grandiloquence pour privilégier l’ambition, dans une évolution souvent convaincante.

Il y a trois ans, As I Try Not To Fall Apart nous avait réconciliés avec White Lies, un groupe que nous avions peu apprécié dans sa jeunesse pour son obédience exagérée vis-à-vis de l’héritage « cold wave » de Joy Division : enfin libérés de leurs obsessions morbides du début des années 1980, les musiciens de White Lies poursuivaient certes dans une tradition venue de la fin des années 1970 et du début des années 1980, mais exploraient d’autres territoires avec une jolie inventivité, non dénuée de grâce. Night Light, leur septième album studio, allait-il poursuivre dans cette même direction, ou bien nous réservait-il des surprises ?
La courte mais puissante introduction de Nothing On Me n’est pas encore une réponse claire, le trio constitué par Harry McVeigh (à la guitare et au chant), Charles Cave (à la basse) et Jack Lawrence-Brown (à la batterie) nous offrant un hymne post-punk paroxystique, accrocheur en diable, qui n’a guère pour particularité que l’ajout de sonorités électroniques : on pourrait être chez Editors des débuts, ce qui n’est pas un reproche mais n’est pas original. C’est All the Best, le second titre, qui confirme que White Lies ont fermement suivi la direction amorcée avec l’album précédent : ce tempo moyen, jouant la carte de l’émotion plutôt que de la brutalité, est l’une des grandes réussites de Night Light, et nous rassure. Si le lyrisme parfois envahissant du groupe (appelons-le son syndrome Simple Minds/Stadium rock) peut toujours en refroidir certains, il y a là une belle ampleur, comme dans les solos de guitare remarquables au milieu de ce morceau très « prog rock » de six minutes, que l’on peut associer désormais à une vraie maturité formelle.
Keep Up est certainement la chanson la plus chatoyante à la première écoute : avec son mantra « Don’t block my rhythm again », c’est une pop song positive, dynamique, à la fois simple et forte… comme une pop song doit l’être pour captiver son audience sans faire de chichis. Dans un disque dont la qualité est plutôt la complexité, c’est le seul moment qui rappelle que White Lies ont été, à un certain moment, un groupe populaire en Grande-Bretagne. D’ailleurs, Juice, qui suit, est le morceau le plus fidèle à la forme initiale de la musique de White Lies, le seul qu’un fan des débuts, qui n’aurait pas suivi l’évolution formelle du groupe, reconnaîtrait immédiatement… avec une nuance de taille : White Lies préfèrent désormais chanter la lumière, même en pleine nuit, plutôt que la fascination pour l’obscurité. « I don’t want your heart, I don’t want no harm / Just a good day soon » (Je ne veux pas de ton cœur, je ne veux faire de mal à personne / Je veux juste une belle journée pour bientôt) : l’âge apporte une indéniable sérénité.
Everything Is OK est un drôle d’objet : louchant franchement, tant du point de vue vocal que de l’atmosphère, du côté du Springsteen des années 1980, c’est le genre de chanson – magnifique, d’ailleurs – qu’on n’aurait jamais attendue de la part de White Lies ! Et le mantra de cette chanson, « I think that everything is OK, or nothing will be OK again » (Je pense que tout va bien, ou que rien n’ira plus jamais bien), n’a rien de superficiel. Apprendre à se contenter du bonheur qu’on a, aussi limité et fragile soit-il, est bien la seule solution pour être heureux. Peut-être le sommet de Night Light ? Le temps et les écoutes répétées le diront…
Going Nowhere est presque dansant, ce qui, là encore, est une nouveauté chez White Lies. Et, du coup, c’est quasiment un titre feel-good, qui renvoie à une certaine pop britannique des années 1970, très loin en fait du punk comme de la cold wave (il y a même du saxo pour conclure le morceau). Nul doute que les fans des débuts du groupe se déclareront « dégoûtés » par cette évolution improbable de leurs ex-« amers héros ». Night Light (le morceau) nous ramène sur un territoire plus habituel, en particulier avec ce décollage lyrique qui vient conclure une chanson plutôt calme, embellie, d’ailleurs, par un court break atmosphérique : encore une franche réussite que ce titre complexe, qui louche aussi vers une certaine forme de rock progressif.
I Just Wanna Win One Time, s’ouvrant sur quelques notes de piano avant d’embrasser une lourdeur emphatique qui n’est pas ce que nous préférons chez White Lies, frôle la caricature, même si son refrain « I just wanna win one time, even though the game is over » (Je veux juste gagner une fois, même si la partie est terminée) a quelque chose de touchant, et de probablement sincère. In the Middle est, par contre, une bonne conclusion, réussissant à assembler les vestiges du White Lies des débuts avec des hooks plus contemporains, comme cette rythmique métronomique, ou cette atmosphère vaporeuse qui pourrait annoncer de nouvelles petites surprises pour le prochain album. Dans trois ans ?
En deux mots, Night Light confirme la bonne impression laissée par son prédécesseur, et marque une autre évolution (relative) du groupe. Bénéficiant d’une production luxueuse et d’une vraie attention aux détails – caractéristique d’un groupe désormais mature -, Night Light est un bon disque, pas forcément renversant à première écoute, mais qui gagne en profondeur et en charme au fil du temps. Et qui révèle un groupe laissant de plus en plus la lumière grignoter la nuit.
À voir ce que le groupe fera de ces chansons, plutôt complexes, sur scène.
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Eric Debarnot
White Lies – Night Light
Label : Play It Again Sam / PIAS
Date de sortie : 7 novembre 2025
