[Prime] « After the Hunt » de Luca Guadagnino : un film qui ne sait pas trop quoi dire…

Grosse déception que le dernier Guadagnino, qui livre avec After the Hunt une démonstration lourdaude, bavarde et qui plus est plombée par des afféteries insupportables. Bergman et même Woody Allen sont loin…

After the Hunt
Copyright 2025 Amazon Content Services LLC. All Rights Reserved.

Le cinéma de Luca Guadagnino a beau multiplier les directions et les genres, il garde toujours en son cœur cette malicieuse propension à la provocation. Un fruit défendu dans Call me by your name, du cannibalisme dans Bones and All, un queer plus ou moins frontal dans Challengers et Queer… à chaque exploration d’un genre, le cinéaste cherche les limites et joue avec elles. After the Hunt n’échappe donc pas à la règle. Ce thriller psychologique sur fond d’accusation d’agression sexuelle dans les hautes sphères de Yale pourrait se résumer à une enquête relativement banale, où l’on cherche à définir la vérité dans la sempiternelle dynamique « parole contre parole ».

After the Hunt afficheMais Guadagnino, en mettant en image le premier scénario de la comédienne Nora Garrett, veut bien entendu éviter la simplicité d’un affrontement entre prédateur et victime. Dès le générique, qui cite très clairement Woody Allen par la police d’écriture, le fond noir, le jazz et la liste des comédiens dans l’ordre alphabétique, le clin d’œil joue sur l’ambivalence : hommage au cinéaste des zones grises de la psyché humaine (comme le chef d’œuvre Crimes et délits, ou Match Point), mais également mise en avant d’un individu désormais blacklisté et invisibilisé.

Le jeu de massacre, presque bergmanien, va contaminer tous les personnages, et principalement cette élite universitaire s’écoutant parler, parfaitement consciente que le sommet qu’elle occupe n’offre pas de la place à tous impétrants. On retrouve ici l’atmosphère poisseuse qui ouvrait The Social Network, et il faut bien reconnaître que les comédiens américains sont particulièrement talentueux pour reproduire, voire sublimer cette aisance toxique.

En donnant la parole à tous les partis et en travaillant le conflit générationnel, Guadagnino prend un malin plaisir à révéler les limites de chacun. La femme de pouvoir, ayant dû mobiliser bien plus d’énergie que les autres pour évoluer dans sa carrière, en devient cynique, reprenant en cela la ligne directrice de Tár. La jeunesse face à elle multiplie les revendications et tente de gommer toutes les aspérités, au risque d’une confusion que caricaturait gaiement Aster dans Eddington.

Ces règlements de compte sont probablement les points les plus intéressants du film : ils racontent l’époque, ses évolutions, ses crispations, et l’état d’une société dans laquelle on aurait perdu de vue la possibilité de la nuance et des pas vers l’autre. L’intéressante scène de repas où le mari psychanalyste quitte la table pour une sorte de contre soirée musicale illustre bien cette tension, entre allées et venues, intrusions et fuites pour un dynamitage continu de la conversation entre femmes au premier plan. Les embrasures et les points de vue à l’écart, reproduisant de façon insidieuse celui des caméras de surveillance, contamine d’ailleurs la plupart des échanges.

Le programme est donc suffisamment dense pour qu’on y trouve de quoi sonder la complexité des personnages. Mais le manque de nuance n’est pas seulement le dopant des réseaux sociaux : il se déploie également dans la fiction. Bergman – et son disciple modeste, Woody Allen – osaient limiter les éléments narratifs pour fouiller la complexité humaine, en densifiant leurs personnages. Ici, c’est l’écriture sérielle qui prévaut, par l’accumulation de circonstances et de révélations (traumas d’enfance, plagiat, titularisation, conflits d’intérêt…) permettant à chaque personnage une réversibilité des jugements du spectateur. On n’est pas loin de ces script verrouillés d’Asghar Farhadi, où l’on prend un malin plaisir à se positionner en surplomb des vices communément partagés par tous les partis.

En résulte un film qui ne sait pas trop quoi dire, et finit par s’échiner à travailler la forme au détriment du fond. Les personnages dissertent en convoquant les philosophes, font parler leur cœur tout en privilégiant la carrière, perdent tout tout en gagnant, et joue tous – très bien, c’est un fait – cette surcharge de la parole sans qu’on sache si la caméra l’admire ou la fustige. D’autant que cette dernière multiplie les afféteries insupportables, avec gros plans déformés sur les visages, focus hésitants, ou montage alterné sur les mains lors des conversations. Une sorte d’aveu d’échec assez singulier, où, faute de savoir qu’elle opinion donner sur cet air trouble du temps, on se contente d’en filmer la vaine agitation.

Sergent Pepper

After the Hunt
Film en coproduction USA-Italie de Luca Guadagnino
Avec : Julia Roberts, Ayo Edebiri, Andrew Garfield, Michael Stuhlbarg, Chloë Sevigny…
Genre : drame
Durée : 2 h 19
Date de mise en ligne (Prime) : 20 novembre 2025

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.