Affiche de qualité à la Bellevilloise à Paris ce lundi soir : le génial collectif britannique Tuung y clôturait une année de célébration des vingt ans de son premier album, avec Maxwell Farrington & Le SuperHomard en première partie de luxe. Même si cette dernière avait mal commencé…

Suite du marathon de concerts de novembre, en ce lundi qui succède à la première vague de froid de la saison, avec Tuung à la Bellevilloise. Le collectif britannique atypique fêtait cette année les vingt ans de son premier album, et avait la bonne idée de clôturer cette année événementielle par un deuxième concert à Paris, à la Bellevilloise, dans le 20ème arrondissement, après le Hasard Ludique, dans le 17ème en début d’année. D’ouest en est, nous ne verrons pas trop ce qui a changé, puisque nous n’avions pu nous rendre au premier rendez-vous parisien en ce début d’année. Mais en tout cas, à l’est nous étions en ce lundi soir pour voir la bande du génial Mike Lindsay achever en beauté sa belle année.
Avant cela, la première partie n’était pas n’importe laquelle, puisque dévolue au groupe franco-britannique Maxwell Farrington & Le SuperHomard, auteur de deux albums et d’un EP remarquables. Leur deuxième disque, Please Wait…, publié en 2024, avait été particulièrement remarqué dans un registre de pop à la fois simple, mélodique, et orchestrale, rappelant même parfois The Divine Comedy, toutes proportions gardées. Ce succès d’estime les a amenés à donner plusieurs dates en tête d’affiche, dont un beau concert, très réussi, dans la voisine Maroquinerie, au printemps 2024. Mais ce soir, à 50 mètres de là, se déroule une toute autre histoire. A 19h57, trois minutes avant de monter sur scène, le dénommé Farrington, avec sa parka, son béret et sa valise trolley, déboule devant nous, au fond de la Bellevilloise, visiblement just on-time, pour enchaîner sur une improbable balance de dernière minute avec son compère Christophe Vaillant (aka Le SuperHomard, à la guitare), tendu mais restant bonhomme afin de garder son efficacité. La raison de cette arrivée tardive ? On comprend que le chanteur australien, émigré à Saint-Brieuc, a laissé passer les trains, pour arriver par le dernier permettant d’être sur scène à 20h à la Bellevilloise. « Putain, tu m’as fait attendre toute la journée ! » répète Vaillant rigolard, alors que Farrington joue son rôle de ludion, à l’ouest au propre comme au figuré, mais finalement très professionnel.

Car immédiatement, malgré ce contexte chahuté et la formule limitée en duo (voix/effets et guitare) : la voix du néo-Briochin est en place dès Begging’s Not My Business, titre du dernier album en ouverture, pendant que notre crustacé préféré déroule les arpèges de sa guitare électo-acoustique. Tel un vieux couple, Farrington et Vaillant retrouvent leurs réflexes en deux temps, trois mouvements, pour enfiler les perles mélodiques, du miel à nos oreilles, issues de leurs deux albums : Hexagon (qui a été en playlist de France Inter), Free Again, Catch 42, We us the Pharaos, Oysters (avec une chorégraphie minimale volontairement ridicule de Farrington pour continuer à se mettre le public dans la poche). Des chansons efficaces, portées par les mélodies limpides de l’un et la tessiture de la voix de l’autre. Ces deux-là ont beau ne pas être dans des conditions idéales, ils nous font le même effet que d’habitude : c’est impeccable, et ils sont encore très largement sous-cotés. Et sympathiques avec ça, osant même une reprise inattendue de Sinatra (The Train), après avoir annoncé pour rigoler du Ah-Ha puis My Way… avant que de terminer ironiquement par le joli Good Start. De ce set de première partie d’une grosse demi-heure subsiste l’envie de se replonger dans leurs courtes, mais déjà mémorables, œuvres à deux.
Après ce sémillant duo, place au plat principal, n’en déplaise à François de Rugy, qui se serait sans doute bien contenté de la première partie. Le plat principal ce soir, c’est donc le collectif britannique Tuung, en fin de tournée pour appuyer son dernier album sorti en début d’année (Love You All Over Again), et surtout les vingt ans de leur premier album. Un album débutant une carrière brillante, qui les aura vus, au long de leurs neuf disques, inventer quasiment un genre à eux tous seuls, la folktronica, soit un univers pop-folk tinté d’électronique.

En son sein, un orfèvre, le grand et avenant Mike Lindsay, transforme tout ce qu’il touche en or, soit pour lui-même, soit avec d’autres (comme son album avec Anna B. Savage publié en 2024, ou au sein de LUMP avec Laura Marling). Prenant la parole souvent entre les morceaux en alternance avec son compère Sam Genders (également chant et guitare), Lindsay explique simplement qu’ils sont « tombés amoureux » tous les six il y a deux décennies « et nous le sommes toujours, n’est-ce pas ? » A côtés des deux membres fondateurs, opinent ceux qui les ont rejoints en 2005, et accouché de cette œuvre atypique : la chanteuse Becky Jacobs, le guitariste Ashley Bates, le percussionniste Martin Smith et le claviériste Phil Winter. Les trois guitaristes occupent naturellement le devant de la scène, avec Jacobs à gauche en regardant la scène, Smith et Winter à l’arrière. Leur alchimie est simple et évidente sur scène, pour délivrer des chansons complexes, mais paraissant si limpides, comptant toujours leurs lots de surprises, soit mélodiques, soit dans l’usage des voix, ou encore de sons inattendus – par exemple le bruitage par le troisième guitariste Ashley Bates à l’aide d’une bouteille de vin et d’une paire de ciseaux… tout en restant mélodieux et en ne réussissant à ne pas faire trop arty et poseur !

Après l’intro ondoyante (malgré son titre) de Death is The New Sex, extrait du remarquable album précédent du groupe, Tuung va faire le choix d’honorer a minima sa dernière livraison, avec seulement deux titres, heureusement bien choisis, Didn’t Know Why, et Snails. Ceci avant que d’en revenir à ce premier album fondateur (This is Tuung… Mothers Daughter and Other Tales, 2005), avec une série de cinq chansons comme autant de trésors cachés, en majorité issues de sa deuxième face, dont Song of The Sea (avec des cris de mouettes et Bates au banjo), Code Breaker au refrain simple, beau finalement comme du Laura Veirs, et Surprise Me 44, « la dernière chanson de nos concerts il y a 20 ans », maintenant en milieu de set, avec une tonalité électronique plus poussée.
C’est alors le début d’un deuxième set, où le sextet honore différents albums, et diverses facettes de son répertoire : la ballade simple et belle (Jenny Again), le quasi tube folk-pop involontaire (The Roadside, chantée par Jones) mais aussi l’instrumental déchaîné hérissé d’un solo façon guitar hero à peine ironique de Lindsay (By Dusk They Were in the City), et mettant une bonne décharge électrique dans cet océan de douceur apparente. Ceci sans oublier de nous offrir le dernier single paru récemment (Anoraks, en mode spoken word par Genders à l’aide d’un gros cahier relié, et nous faisant entrer dans une transe soft). Et quand on les voit chanter en chœur « And we will hustle to be free » sur Hustle, cela nous rappelle opportunément que Tuung, délivre toujours des textes faussement sibyllins ou acides, remplis de personnages atypiques, comme « cette mère de famille qui se réveille un jour et décide de braquer une banque » (Beautiful and Light).

Comme tout bon concert ne peut qu’avoir une fin réussie, le groupe ne fera pas mentir l’adage, avec l’épatant enchaînement Hustle / Bullets qui ménage une montée en puissance culminant avec le final extatique de Bullets, avant un adieu temporaire aux larmes sur la très belle, également revigorante, Bodies, en rappel unique, clôturant 1h30 de concert pile poil parfaitement menée. Adepte des zig-zags et des chemins de traverse, mais aussi des lignes droites mélodiques capables de toucher au cœur sans sombrer dans une complexité inaccessible, le collectif britannique a ainsi dessiné un concert à son image. Ouvert, brillant, pop, folk, électronique, humain, souriant, tout cela à la fois. Joyeuse deuxième décennie à Tuung !
Maxwell Farrington & Le SuperHomard (en duo) : ![]()
Tuung : ![]()
Jérôme Barbarossa
Photos : Laurence Buisson (merci à elle !)
Tuung + Maxwell Farrington & Le SuperHomard à la Bellevilloise (Paris)
Production : Super!
Date : le lundi 24 novembre 2025
Leurs derniers albums parus :
Maxwell Farrington & Le SuperHomard – Please, Wait…
Label : Talitres
Date de sortie : le 2 février 2024
Tuung – Love You All Over Again
Label : Full Time Hobby
Date de sortie : le 4 janvier 2025
