Dans un paysage saturé de disques formatés, Julii Sharp signe avec Burning Line un album d’une beauté troublante, à la fois lumineux et mélancolique. Entre pop délicate et folk cotonneuse, ses chansons dessinent une prose sensible qui s’infiltre sous la peau bien après la dernière note.
Qui pourrait croire qu’un miracle puisse se concrétiser au bout d’une route encombrée d’événements contrariants ? Et pourtant, en cette fin d’année où tant de disques inféodés aux tendances actuelles peinent à se distinguer, quelques œuvres parviennent encore à proposer une autre approche de la composition. Avec Burning Line, Julii Sharp signe le disque rêvé que toute artiste aimerait enregistrer.
Le morceau d’ouverture, qui donne son titre à l’album, concentre à lui seul toute l’essence d’une composition parfaite, sans emphase, évoquant vocalement par son phrasé Emma Pollock. Le single Pirate in the Room avait déjà conquis la presse comme les radios. Voici enfin un disque qui réconforte et renvoie à quelque chose d’indéfinissable, d’une beauté troublante que l’on croyait disparue de notre monde. Car la langue de Shakespeare exige une maîtrise que peu d’artistes francophones prennent le risque de malmener. Ici, les mots dépassent le simple écho : ils s’inscrivent dans une syntaxe poétique sublime.
Les éclaircies que propose Julii Sharp dans AB November permettent de respirer la lumière, de humer des parfums capiteux, à la lisière de l’automne et de l’hiver. Il suffit de contempler la pochette peinte par l’artiste elle-même pour saisir l’extension visuelle de ses textes empreints de mélancolie. L’équilibre entre chaque titre est d’ailleurs remarquablement tenu, glissant d’une ambiance feutrée vers une folk cotonneuse où l’âme se réchauffe et où le cœur trouve sa mesure.
Les envolées de guitares de Balconies ont une pureté aérienne que seul l’imaginaire peut prolonger, en associant chaque mot à ces arpèges diaphanes. Comme une peinture dont la surface se déforme à mesure que chaque motif affirme son relief, Julii Sharp décrit une infinité de sentiments, douloureux ou fugitifs (le bonheur). Au final, c’est une véritable prose musicale qui se déploie.
Étonnamment, l’album ne contient aucun remplissage. Même dans son dépouillement, Atmosphere reflète l’état d’esprit dans lequel Julii nous a confié ses chansons. D’une inspiration presque religieuse, ce disque invite à la dévotion : comment ne pas tomber en pamoison devant cet album de toutes les saisons ? Et s’il s’agissait du disque de l’année ? Et même au-delà ? Car c’est bien de cela qu’il est question : dépasser le présent pour s’inscrire dans la durée.
Telle une louve solitaire, l’artiste est ici entourée d’une équipe irréprochable, qui restitue à la perfection les nuances et les accords que Julii a tirés de sa besace secrète. Chrysalis en est le calice, avec son approche plus abrasive, hautement combustible, portée par ses guitares croisées. Comment ne pas manquer de mots devant tant de pureté ? Phantom semble flotter à la surface de la peau, enveloppant de sa présence les composantes d’un rêve mêlé au réel. La neige s’amoncelle, le ciel change de tonalité et devient un manteau où le bruit se réfugie pour laisser résonner la voix gracieuse de Julii.
En refermant l’album, subsiste une étrange sensation : celle d’avoir communié avec un fantôme charismatique qui aurait glissé dans votre verre un élixir à la fois sirupeux et sacré, et qui vous observerait maintenant, derrière vos paupières closes. La magie a opéré. On ne peut que remercier La Centrifugeuse de nous ouvrir ces sentiers secrets. Evidemment, ce disque compte parmi les plus belles révélations de l’année.
Franck Irle
Julii Sharp – Burning Line
Label : Only Lovers Records
Date de sortie : le 24 octobre 2025