[Interview] Olivier Rocabois : « Neil Hannon, c’est comme mon grand frère qui a réussi ! »

Comme nous, vous avez aimé, adoré peut-être, les deux premiers albums d’Olivier Rocabois. Eh bien, sachez qu’Olivier s’est remis au travail pour nous en offrir la suite, et qu’il a donc lancé une nouvelle campagne de crowdfunding pour son financement. Il nous explique tout ça dans cet interview où il laisse, comme toujours, exploser toute son énergie et sa créativité !

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Photo : Thomas Bader

Benzine : Qu’est-ce que le succès de ton deuxième album a eu comme conséquences, autant du point de vue artistique qu’en termes d’impact sur ta carrière ?

Olivier Rocabois : Le succès… il faut en parler de manière mesurée, ça a été plus un succès critique que public. Comme pour le disque précédent, j’ai eu beaucoup de presse, et n’importe quel ego d’artiste en est stimulé ! Side effect du truc, ça m’a mis une sorte de pression… Des amis, des vrais, m’ont même dit : « fais gaffe, ce disque-là, il aura marqué les gens… ». Enfin, on parle de quelques milliers de personnes, c’est pas énorme… Pour moi, c’est déjà un miracle que j’arrive à faire des disques, à les publier sous mon nom, à faire le mariole comme ça. Ma nature profonde, c’est de me faire remarquer, depuis l’enfance. Mais les complexes, depuis des décennies, avaient pris le dessus… Là, depuis quelques mois, je me suis pris une sorte de retour de bâton. J’ai retiré une certaine fierté de tout ça, mais ça a instillé en même temps un grand doute en moi : est-ce que je peux faire un autre disque qui va toucher autant les gens ?

J’ai accumulé pas mal de chansons, des instrumentaux, des « bits and pieces », j’en ai dégagé déjà pas mal, mais j’en ai encore beaucoup trop. C’est un peu comme monter une équipe de foot, tu vois. La jurisprudence Benzema, quoi, ou Cantona… de grands joueurs qui ne se sont pas toujours intégrés en équipe de France. J’ai besoin de douze chansons, c’est un peu le standard pour un album depuis soixante ans… Rubber Soul, dont on fête les soixante ans aujourd’hui ! Mais je n’avais pas envie de douze chansons de 3 minutes 30, ça ne me paraît pas intéressant. Il y a aura une pièce plus longue, et des morceaux beaucoup plus succincts, des instrumentaux en dessous de la barre psychologique des 3 minutes. J’essaie d’être plus synthétique, pour faire tenir en 45 minutes un monde interieur bouillonnant, avec autant de joie et d’angoisse. Et ça, ça été un apprentissage du dernier album, j’essaie qu’il n’y ait pas une trop grande distorsion entre la persona numérique que je m’invente, et le vrai mec que je suis. Je veux être fidèle à moi-même, aussi bien pour mes proches que pour mon public.

Olivier Rocabois_crédit Thomas Bader 1Benzine : Dans ton texte pour le crowdfunding, avec ton humour habituel, tu mets quand même la barre vachement haut, tu parles de Smile, de Brian Wilson. Ce sont des ambitions énormes, par rapport à ces complexes que tu décrivais… Vas-tu continuer dans ta trajectoire de pop psychédélique flamboyante, ou bien comme tu l’as dit, faire un disque plus proche de ta réalité ?

Olivier : La dimension un peu délirante, vertigineuse, fait partie de ma démarche. Et ça ne plait pas à tout le monde. C’est épidermique, un peu « take it or leave it ».

Je ne vais pas, évidemment, me mesurer à Brian Wilson, c’est un modèle, une référence. Le fait qu’il nous ait quitté il y a six mois en rajoute encore à la légende… Le 11 juin, j’étais à l’ïle d’Yeu avec Popincourt, et avant d’aller se baigner, vers 17h, je fais un petit « scroll » pour voir les derniers gossips, et là… je vois une dizaine de notices… Plein de trucs : mon entourage proche sait à quel point Brian Wilson fait partie de ma psyché, évidemment ! Et ça fait 35 ans – mes 18 ans quand j’ai découvert Pet Sounds – que je pense à ce mec nuit et jour. Avec McCartney, ce sont des figures auxquelles je me réfère en permanence, qui me rappellent ma propre mortalité, ma propre médiocrité d’artiste.

Pour revenir à ta question, je trouve qu’il est plus vertueux de s’inspirer d’artistes immenses que d’essayer de juste faire un peu comme les copains. Dans la musique d’aujourd’hui, il y a beaucoup de créativité, que ce soit chez les jeunes de 20 ans ou les vieux de 50 ans et plus… mais il y a aussi beaucoup de conformisme dans la facture, sur le plan formel. Les standards de durée ont heureusement explosé, tu vois des mecs comme King Gizzard qui font des morceaux de 7 minutes, c’est mes frères de lait… Moi, j’ai besoin de me projeter dans une réalité augmentée, c’est en ça que mon approche reste en effet psychédélique. Parce que c’est la musique que j’ai écoutée entre 15 et 25 ans, et il a été prouvé que c’est cette musique qui constitue une sorte de « musée » dans notre tête, auquel nous nous réfèrons toujours. Donc, c’est ça mon rêve, que mon album fasse partie du musée dans la tête de quelqu’un dans le futur…. Même si la postérité…

Benzine : Oui, il est difficile d’imaginer ce que la postérité pourra signifier dans quelque temps. Je viens de voir d’ailleurs que 30% de la nouvelle musique entrant sur Spotify en ce moment est créée par l’IA…

Olivier : Dans le prochain album, il y a un titre qui égratigne tous ces magnats du streaming et de l’IA, quand les deux s’associent de manière diabolique comme chez Spotify (rires)

Benzine : Tu as donc repris une démarche de crowdfunding pour ce prochain album…

Olivier : Bah c’est qu’il n’y a pas beaucoup d’autres manières de faire. C’est ma quatrième campagne pour mon quatrième album, en comptant celui d’Olive, mon groupe. Je fais des demandes de subventions, j’ai fait un emprunt à la banque, alors que je leur dois encore de l’argent sur mes disques précédents. J’ai zéro thune, donc je n’ai pas le choix. Sur mes disques, je veux payer tout le monde, tous ceux qui travaillent dessus. Bien sûr, je pourrais rester chez moi, et tout faire sur mon piano, mais j’ai envie de faire des disques « à l’ancienne ». Donc le financement, c’est crowdfunding pour moitié, prêt bancaire, mécénat, emprunts divers. Pour pouvoir payer, sur un axe chronologique : les répétitions, l’enregistrement, et donc les musiciens, les ingénieurs du son, le mixage, le mastering, la fabrication des disques, la promo, un clip, etc. Le DIY, je connais par cœur, je fais ça depuis des années.

Le crowdfunding, c’est énormément de boulot. Depuis un mois, ça me prend intégralement la tête, je ne pense qu’à ça, je contacte les gens un par un, des gens que j’aime bien, pour leur parler de manière personnelle. C’est comme faire du porte-à-porte numérique. C’est comme mon premier boulot, chez BVA, où je faisais des enquêtes au téléphone : en ce moment, de 17h à 21h, je n’appelle plus les gens au téléphone, mais je leur écris, par Messenger, etc. Là on en est à 50% et il reste deux semaines, j’ai un risque de 20% environ.

Benzine : Dans l’album précédent, il y avait une préoccupation claire sur le temps qui passe, est-ce que ça sera un sujet pour le nouveau disque ?

Olivier : En filigrane, la mortalité est un thème qui revient souvent. J’invente rien, mais à 50 balais, c’est un sujet plus préoccupant. Peut-être que le FOMO (Fear Of Missing Out) est d’ailleurs une traduction dans le sens de notre époque – l’instantané – de la peur ancestrale de disparaître. Le disque précédent s’appelait The Afternoon of our Lives, et je me sens au « crossroad », avec les parents qui vieillissent et les enfants qui grandissent… Mais ça ne sera pas cette fois au centre de l’album : il y a seulement un ou deux titres sur la dizaine qui traitent de ça.

Benzine : Je te pose la question, parce que, pour la première fois, je n’ai pas aimé Rainy Sunday Afternoon, le dernier album de Divine Comedy : Neil Hannon a arrêté de rire, et il a fait un album accablé, avec une pochette désespérante. J’ai trouvé qu’il avait perdu de la grâce en faisant ça…

Olivier : D’ailleurs, Neil, je l’ai rencontré chez Gibert pour son showcase il y a peu de temps. Je lui ai offert mon album, je lui ai montré le titre, avec le mot « afternoon », et il a rigolé : « I might have plagiarised you! » (Je t’ai peut-être plagié !). Alors je lui ai répondu : « For the first time, it is the other way round… » (Pour la première fois, c’est l’inverse…). C’est marrant, parce que les autres fois où je l’avais croisé, j’avais été complètement « starstruck », et cette fois j’ai eu l’impression de voir mon grand frère, celui qui a réussi, alors que moi j’y travaille encore (Rires). Neil Hannon et Philippe Katerine sont deux figures « fraternelles » pour moi.

Benzine : Dernière question, une question difficile : ce prochain album, que serait pour toi la plus belle phrase que pourrait dire quelqu’un qui vient de l’écouter ?

Olivier : Le plus beau compliment, ce serait : « ce disque me fait du bien ! ».

Propos capturés par Eric Debarnot le 3 décembre 2025.

Voici le lien de la collecte organisée pour le nouvel album d’Olivier Rocabois :
Important : Coup de sifflet final le jeudi 18 décembre à minuit

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