Floodlights – Underneath : « la lumière brille en ce moment ! »

Impossible de clôturer l’année sans revenir sur l’un des plus beaux albums parus au cours des douze derniers mois, sur lequel nous étions passé en mars dernier : Underneath, des Australiens Floodlights restera l’un des chocs émotionnels de 2025.

Underneath Photo Credit Nick Green
Photo : Nick Green

Il y a une sensation musicale que j’aime plus que tout. Qui me donne envie de poursuivre ma visite du continent de plus en vaste et diversifié qu’est « le Rock », même – ou plutôt surtout – alors qu’il n’intéresse plus toute une partie de la jeunesse française, et qu’il n’est plus « mainstream » quasiment nulle part dans le monde : c’est cette impression précieuse de mettre sur sa platine le disque d’un groupe ou d’un artiste inconnu, et d’être saisi instantanément par la certitude d’entendre quelque chose de « supérieur ». Quelque chose qui « change », quelque chose qui est la marque d’une musique qui pourra être IMPORTANTE pour nous. Ecouter pour la première fois Underneath, des Australiens Floodlights (qui ne sont pas un groupe débutant, il faut le préciser) a créé en moi ce tsunami d’émotions qui justifie ma foi en la musique, qui m’anime depuis plus d’un demi-siècle. Mais assez de divagations, entrons un peu dans les détails !

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Il y a déjà cinq ans, Floodlights débarquait de Melbourne avec des guitares nerveuses, des préoccupations sociales et politiques, mais aussi cette « australianité » tellement caractéristique, qui rend la musique venant de ce pays-continent bien reconnaissable. Quelque part, Floodlights semblait se placer à équidistance de deux groupes aussi caractéristiques et différents que The Go-Betweens – la finesse, les mélodies – et Midnight Oil – l’intensité, la colère. Deux albums plus tard (From A View en 2020 et Painting Of My Time en 2023), Floodlights se sont consolidés dans le panorama du Rock en Australie, mais sans avoir encore réellement percé au dehors.

Mais avec ce troisième album, paru en mars 2025, Floodlights a voulu passer un cap, délaisser le territoire un peu balisé de l’indie-rock et aller vers une musique plus universelle, plus collective. Au risque que ce changement d’échelle soit vu comme de l’arrogance, ou, pire, un désir, de recruter un public plus « mainstream ». Pour ce faire, la palette sonore a été élargie (claviers, trompette, synthés, chœurs), la production a créé plus d’espace, comme si l’écran de cinéma sur lequel Floodlights projette ses rêves et ses cauchemars était désormais en format cinémascope. Ce choix d’un lyrisme insolent a rappelé, d’une manière logique, celui de groupes comme Arcade Fire ou The National, une ressemblance que certains critiques ont pointé à la sortie du disque.

Underneath commence, c’est indiscutable, comme le faisait la troupe d’Arcade Fire à ses débuts : Alive (I Want To Feel) s’ouvre sur quelques arpèges, avec la voix de Louis Parsons un peu rêche, puis le morceau enfle, et explose dans des élans lyriques. Les détracteurs du groupe – si jamais il en reste – parlerons de « forêts de bras levés vers le ciel dans un stade », et c’est d’ailleurs tout le mal que l’on souhaite à Floodlights. Mais les Australiens ont quelque chose de plus joliment trivial, et leur lyrisme ne tombe pas dans le pompiérisme. Cloud Away est le premier single, une chanson parfaitement évidente dès la première écoute : une mélodie pop, un rythme enlevé sur des claviers joueurs, des guitares plus claires que post-punk, une voix féminine qui élève encore la chanson vers le ciel, vers la beauté… et l’inévitable montée en puissance finale, qui échappe pourtant aux clichés. JOY (majuscules, SVP, parce que la « joie » est clairement un sujet sérieux) se déploie dans un registre post-punk solennel un poil plus convenu, heureusement contredit par l’harmonica décalé qui s’incruste : reste qu’on n’attend pas de Floodlights qu’il nous fasse de l’Interpol ou du Editors (quel que soit l’intérêt qu’on porte à ces deux groupes).

Buoyant voit Floodlights revenir à des choses plus originales, avec la voix de Parsons qui choisit le tremblement de l’émotion, la fragilité humaine, et avec une trompette qui porte la chanson vers « autre chose ». Et surgit en milieu de chanson, un envol vocal qui trahit une magnifique similitude avec la musique enchantée du Shearwater de l’époque de The Golden Archipelago. Sans doute le premier titre de l’album qui marque clairement l’ambition de Floodlights. A partir de là, on a le sentiment de « passer à autre chose », à quelque chose de plus profond. Horses Will Run poursuit dans cette introspection littéralement bouleversant, en y injectant à la fois urgence et mélancolie : c’est un titre puissant,  emporté par la tristesse et la colère, que l’on peut écouter comme un écho contemporain de la « Big Music » que les Waterboys inventaient dans les années 80 : c’est magnifique !

This Island est une chanson plus directe, martelée comme un pamphlet, comme une révolte contre l’hypocrisie d’êtres qui se prétendent compatissants, mais qui sont terriblement froids. Même sous le ciel bleu et sous le soleil : un portrait à charge de l’Australie ? Politique ? Peut-être, mais la chanson peut également être écoutée comme le constat de l’échec d’une relation. Un titre moins fort que ceux qui ont précédé, mais plus frontalement colérique. Can You Feel It est le morceau à grand spectacle fait pour enflammer les foules en public : le chant est émotionnellement tendu, mais la chanson en elle-même porte la possibilité d’une extase générale, avec les guitares qui carillonnent, la trompette qui menace et les chœurs féminines qui exhortent : « Can you feel it? The energy? The rain? The snow? / I’m on the edge / I’m on the edge / I’m on the edge of nothing » (Tu le sens ? L’énergie ? La pluie ? La neige ? / Je suis au bord du précipice / Je suis au bord du précipice / Je suis au bord du néant). Tout simplement cathartique. Imparable.

Melancholy Cave, fausse pause en termes de rythme, est peut-être la plus belle chanson de l’album : un mélange de colère retenue contre le monde et d’admiration sincère pour ceux qui le bravent. « And my heart will ache for the courage that you gave / When only now you are loved, but then you were shamed » (Et mon cœur souffrira du courage dont tu as fait preuve / Alors que maintenant tu es aimée, mais qu’alors tu étais couverte de honte) : la chanson célèbrerait la mémoire de Sinéad O’Connor, et si c’est bien le cas, elle le fait de manière idéale. Suburbia revient vers l’ampleur et le lyrisme, vers un mélange réconfortant d’enthousiasme et de lumière, ancré dans la vie quotidienne et les sentiments amoureux les plus « ordinaires ».

The Light Won’t Shine Forever est une chanson qui commence par parler d’engloutissement, de perte de la lumière, mais qui se pose comme un manifeste combattif : pour l’amour, pour la foi, pour la lutte que nous devons mener pour un futur digne de ce nom. Et même si la « lumière ne brillera pas toujours, elle brille en ce moment ». La conclusion élégiaque de l’album, 5AM, parle tout simplement, et de manière très touchante, de ces sentiments complexes, ambigus même, qui nous traversent quand nous contemplons une ville qui dort encore et va s’éveiller au petit matin : c’est un grand titre conçu pour unir les spectateurs dans un belle cérémonie d’amour, mélangeant dans un bain collectif les peurs et les espoirs de chacun. Cela ne dure que six minutes, mais ça en devrait en durer au moins dix.

Floodlights sont passés il y a quelques mois à Paris, dans la jolie petite salle du PopUp qu’ils ont remplie. On attend avec impatience leur retour dans un cadre plus ample, plus approprié à la splendeur d’Underneath

Eric Debarnot

Floodlights – Underneath
Label : [PIAS] Australie
Date de parution : 21 mars 2025

 

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