« Resurrection » de Bi Gan : problème de raccord

Reparti de Cannes avec un ridicule Prix Spécial du Jury, Resurrection porte la marque d’une virtuosité formelle iconoclaste trop rare dans le cinéma mondial. Un sens de l’audace réussissant à compenser en partie une vision du Cinéma et de son histoire pesant des tonnes.

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Un film envoyé à la dernière minute au comité de sélection cannois ? 2046, envoyé en 2004 par Wong Kar-wai dans une quasi-copie de travail aux effets spéciaux non finalisés ? Non, Resurrection, envoyé par le Chinois Bi Gan à Cannes en 2025. Pour un accueil critique nettement plus clivé que celui du film du Hongkongais et au final un bien ridicule Prix Spécial du Jury synonyme d’incapacité des jurés à savoir où mettre un tel film alors que de l’avis général le Prix de la Mise en Scène allait comme un gant à ce dernier.

Resurrection c’est cinq récits (mis en musique par M83) se suivant chronologiquement et témoignant d’un brio iconoclaste, qu’il s’agisse de collages parfois culottés de références cinéphiles, d’influences formelles immédiatement réappropriées et d’expérimentations visuelles souvent réussies. Cinq récits censés correspondre aux cinq sens.

Cinq récits dont le liant se situe dans le résumé publié à Cannes: Dans un monde où les humains ne savent plus rêver, un être pas comme les autres perd pied et n’arrive plus à distinguer l’illusion de la réalité. Seule une femme voit clair en lui. Elle parvient à pénétrer ses rêves, en quête de la vérité…

Une note d’intention pas vraiment légère, en plus de son côté les cinéphiles parlent aux cinéphiles. L’incapacité à rêver comme symbole de la mort du cinéma/usine à rêves. L’être qui perd pied est prisonnier du cinéma. Et Madame cherche à percer le secret du cinéma. Pour ressusciter ce dernier, comme l’indique le titre du film ? Cette lourdeur de la note d’intention se répercute en partie dans la manière dont les récits sont raccordés : voix off pompeuse comme certaines répliques d’Holy Motors, symbolisme léger comme un tank (la bougie incarnation du destin du cinéma)… Heureusement, les récits parviennent à exister par eux-mêmes, en chair et en os, en dépassant la note d’intention.

Un premier récit en 1:33 avec intertitres débute donc, influencé par le muet. Résumable par : Vous avez adoré Shu Qi dans Millenium Mambo, vous avez aimé le Nosferatu de Murnau, eh bien ils sont là tous les deux. Avec un peu d’ambiance à la Fleurs de Shanghai, du décor expressionniste, un gros plan léonien et du Méliès, aussi. Sur un score emprunté à Sueurs Froides, Shu Qi se lance à la poursuite d’un Rêvoleur (Jackson Yee), un de ces êtres qui n’a pas perdu la capacité à rêver. Une quête ayant heureusement le charme d’un sérial des débuts du cinéma.

Avant un passage au Scope avec un deuxième récit se réappropriant esthétique du Film Noir hollywoodien classique et stylisation de Wong Kar-wai. Pendant que Pulp Fiction (la valise au centre du récit comme la mallette dans le film de 1994), Brazil (les employés tapant à la machine à écrire au canon), La Dame de Shanghai (les miroirs) et les films de gangster des années 1930 (les fringues) dansent ensemble. Avec une image légèrement floutée donnant au récit une atmosphère un peu auqueuse, brumeuse.

Moins référencé, le troisième récit, centré sur des questions bouddhistes et situé dans un monastère déserté pendant la Révolution Culturelle, est de loin le plus faiblard et le moins audacieux visuellement. Le quatrième récit redresse la barre, montrant que, s’il le souhaitait, Bi Gan pourrait faire du cinéma « comme tout le monde ». Ou plutôt une plaisante comédie autour d’un type endetté montant une arnaque avec une gamine.

Avant le dernier récit, où il est question du réveillon de l’an 2000 et d’une mission portuaire dans un esprit Anges Déchus/Millenium Mambo, liant un garçon et une fille par l’intermédiaire d’un parrain. Avec un long passage en caméra subjective suivi de l’abandon de ce point de vue, à l’image du Film Noir Les Passagers de la nuit.

Une partie démontrant qu’une figure de style n’est jamais mauvaise par principe au cinéma, cela dépend de la manière dont elle est employée par un ou une cinéaste. Bi Gan rend ainsi justice au filtre chromatique, principe souvent associé à des cinéastes hollywoodiens avec zéro peur du clinquant.

De plus, si cette partie est un long plan séquence tel celui qui achevait Un Grand Voyage vers la Nuit, la figure de style est employée aux antipodes de la sensation de continuité avec laquelle elle rime souvent. Un plan séquence oui, mais fait de ruptures chromatiques, narratives, de point de vue et de ton. Avant une conclusion pas si éloignée dans l’esprit du Carax de Mauvais Sang/Les Amants du Pont Neuf… et un changement de format d’image synchrone de l’état émotionnel des personnages.

Oui mais… le film ne s’arrête pas là, avec une conclusion ridicule explicitant encore plus le projet du film. Tout ceci était un voyage à travers le cinéma du 20ème siècle débutant avec l’invention du cinématographe. Le cinéma est né avec le 20ème siècle, il a été l’Art majuscule de ce dernier et il est mort avec lui. Il doit être ressuscité.

Mélange du discours tenu par Alain Delon (lorsqu’il est devenu has been) sur une supposée Mort du Cinéma et une autoproclamation mégalomane de Bi Gan comme sauveur du cinéma. Alors que, s’il est très loin d’être d’une grande modestie, un Francis Ford Coppola n’a jamais pris cette posture, juste celle d’un cinéaste cherchant à ouvrir des portes nouvelles à son art.

Quant à l’idée de la salle de cinéma comme un sanctuaire menacé de disparition… Certes, le PDG de Netflix a déclaré que le message du peuple est qu’il ne veut plus aller voir du cinéma en salles, que son entreprise ne faisait qu’accompagner le mouvement et que voir un film collectivement dans une salle de cinéma appartenait au passé. Le COVID a occasionné la fermeture de salles de cinéma, aux Etats-Unis et en Italie par exemple. Dans des coins de la planète ne disposant pas du métro parisien ou londonien, le prix de l’essence ainsi que celui d’une place en multiplexe transforment le cinéma en salles en loisir coûteux en temps et en argent pour une famille. Mais la manière dont Bi Gan présente les choses grossit le trait, surjoue l’alarmisme. On pourrait même considérer ce constat comme à contre-courant de ce qui se passe dans son pays natal: une politique de hausse du parc de salles et un dynamisme économique du cinéma d’animation local marqué cette année par les recettes XXL de Ne Zha 2.

Heureusement que le metteur en scène producteur de patchworks référentiels se situe aux antipodes d’un propos de plomb, dans un rapport vital, non muséifié, au passé du cinéma. L’expérimentateur formel le plus stimulant du cinéma asiatique depuis Tsui Hark et Wong Kar-wai a produit un film valant mieux que sa note d’intention.

PS: De manière un peu ironique, le film a prix la tête du Box Office chinois lors de son week-end de sortie.

Ordell Robbie

Resurrection
Film franco-chinois de Bi Gan
Avec : Jackson Yee, Shu Qi, Mark Chao
Genre : Policier, Drame, Science Fiction
Durée : 2h40mn
Date de sortie en salles : 10 décembre 2025

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