Cartouches gauloises

Il aura fallu du temps au réalisateur Mehdi Charef pour transposer à  l’écran un épisode déterminant de sa propre enfance, celle où durant l’été 1962 qui précéda l’indépendance de l’Algérie, il dut assister aux dures réalités d’une guerre qui taisait son nom; tout en essayant de continuer à  mener la vie d’un garçon de son âge, faite de jeux, de parties de football et de construction de cabanes.

Le petit Mehdi s’appelle ici Ali, dix ans, vendeur de journaux, qui vit seul avec sa mère depuis qu’une nuit son père mouhajid est parti rejoindre la clandestinité et l’action terroriste. En compagnie de son meilleur copain Nico, un petit français dont les parents tarderont le plus longtemps possible à  quitter le pays au contraire de la plupart de leurs camarades, Ali joue, court, se bagarre et érige une cabane en-dessous d’un pont ferroviaire. Mais la réalité des attentats, des exécutions sommaires perpétrées par les soldats français, du climat délétère qui semble régner sur toute la ville rattrapent bien vite le petit Ali, transformé en spectateur muet, enregistrant sans ciller tous les événements tragiques qu’il contemple avec un regard dont on pressent qu’il augure de la future carrière de Mehdi Charef. Ce n’est donc pas sans raison que Ali se réfugie régulièrement dans un cinéma où il récite par coeur les dialogues de Los Olvidados. Et revient régulièrement l’image d’Ali filmé à  l’intérieur d’un cadre : fenêtre, coin de ciel, brêche dans un mur.

La facture de Cartouches gauloises est des plus classiques, suivant une narration rectiligne qui joue principalement sur la juxtaposition des moments graves et des scènes plus légères autour du groupe d’enfants. De par la proximité du sujet et les douleurs enfouies qu’il n’a pas manqué de réveiller, Mehdi Charef fait preuve tout au long du film d’une retenue, comme une pudeur revendiquée, une autocensure appliquée à  sa propre expérience, dans le souci légitime d’éviter tout pathos. On est dès lors désappointés de voir Ali rester aussi stoîque et impassible en face de toutes les horreurs qu’il scrute à  la manière d’un entomologiste en herbe.
Epousant sans ambage le point de vue algérien (l’armée française est montrée comme sauvage, bestiale, injuste et irrespectueuse des coutumes locales – ce qu’elle fut certainement), Cartouches gauloises est habité des souvenirs émus et déchirants du cinéaste, ce qui lui confère une tendresse et une authenticité certaines.
Cependant, c’est aussi ses limites car il ne parvient pas à  dépasser une vision consensuelle, presque lisse et stéréotypée au final, le réduisant à  une sorte de téléfilm de luxe.

Patrick Braganti

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Drame français de Mehdi Charef – 1 h 32 – Sortie le 8 Août 2007
Avec Ali Hamada, Thomas Millet, Julien Amate