Sans L Orang-Outan, de Eric Chevillard

chevillard.jpg » Et voici le solide orang-outan qui se défait comme un nuage, qui se déforme et se délite. On le savait élastique mais pas au point de s’étirer aux dimensions du ciel et de perdre à  force substance et épaisseur jusqu’à  devenir tout à  fait diaphane, transparent, cette buée, ce flocon, cette fumée rousse qui s’effiloche, c’était l’orang-outan, cette ombre blanche qui s’étend sur toutes choses comme un suaire, quelle ombre blanche ? Comment la voir ? C.’était lui. « 

Comment vivre sans Eric Chevillard ? Imaginez, imaginez ce beau merdier, ce chaos pas uni du tout, ces flots de littérature lactescente, blafardes vaguelettes brisées sur les récifs des moi(s) les plus divers et avariés ? Bref imaginez le pire ! Vivre sans Eric Chevillard serait comme vivre sans bras ni jambes, chose peu commode ennuyeuse et pour tout dire entraînant la pénible compassion d’une humanité constamment aux aguets « Nous disposerons donc du loisir de continuer de vivre, jambes et bras puisque Chevillard est encore là . Nous aurons toute raison de résister au pire car même sur sa seconde main notre homme de minuit est toujours drôle, cocasse, inénarrable, vu que oui voyez-vous le quidam médianoche est ambidextre, et ambidextre c’est beaucoup.

Les esprits retors et chagrins rétorqueront doctement que rien de nouveau sous le soleil de la cocasserie »que ce vague conte philosophique autour des primates n’est que du Vialatte étiré sur 160 pages »que Vialatte est un bon sprinter mais qu’il se délite sur la longueur (comme l’orang-outan), « que Vialatte oui »mais une chronique le matin »une le midi et une au couché sinon le charme n’opère plus. Les esprits roués auront peut-être raison, encore faudrait-il qu’ils relisent sereinement  » les Fruits du Congo  » long roman brumeux comme mon bras où l’homme de la montagne (Vialatte donc tas d’ignares) galope comme vers Marathon sans trépasser sur la fin.

 » Nos bras étaient plus longs que nos jambes, poursuit le coach, j’en déduis raisonnablement que nous n’avions d’autre relation au monde que l’étreinte. « 

Si Vialatte est  » l’homme de la montagne  » l’orang-outan (ou orang-outang) (Pongo pygmaeus) lui est (en malais) « l’homme de la forêt ». Quand dans une seconde partie belle comme la pierre de Francis Ponge, Chevillard fait disparaître notre délicat anthropoîde et bien voyez-vous plus rien n’est enlacé ! Plus rien ne redescend de la montagne, plus rien ne rebondit dans la forêt. Sans l’orang-outang tout redevient antédiluvien car l’homme sans l’orang-outan est antédiluvien. Tout redevient lourd et frôlant la consternation et le bourdon. Le dernier soupir de l’orang-outan à  éteint la belle flamme rousse et il n’est resté de lui qu’un petit tas de cendres dispersé au vent mauvais des terres abandonnées. Un pilier d’ombre c’est levé et sous cette obscurcissement un croassement sinistre monte, le Hurlant hurle. Le Hurlant drôle de bestiole descendue et ne bondissant pas d’on ne sait où. Peut-être de chez Kafka ? Le Hurlant ferait un Odradek terriblement plausible, et l’homme malgré ses peaux de bêtes de trembler devant le Hurlant.
Donc chemin sinueux, mais chemin limpide. La fausse rigueur scientifique de Robert Benchley, Francis Ponge (oui il y a du Ponge chez Chevillard) Vialatte (l’homme de la montagne) Kafka (ce qui n’est pas rien) et Beckett (ce qui est beaucoup dans le moins.) Dans une troisième partie Chevillard et son narrateur Albert Moindre réinventent l’homme en orang-outan, apprentissage périlleux, il faut apprendre pour mieux enlacer et ce au risque de tomber tête bêche à  même le sol. Il y aura donc comme des pendus des promesses d’orang-outan accrochées aux branches. Fruits étranges, quatre moignons levés en grimaçant. Ces promesses d’orang-outan ne seront plus anthropopithèques hominisées quand elles sauront faire avec les tigres et les Hurlants. Tâche périlleuse »

Malheur à  celui qui recèle des déserts
Il est urgent de faire naître des îles
Et c’est ainsi que Chevillard est grand.

Philippe Louche

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Sans l’Orang-Outan,
de Eric Chevillard
Editeur : Les editions de Minuit
192 pages – 14 euros
Format : 14à—20.5 cm
parution : août 2007

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