Lumière silencieuse

aff film_1.jpgJusqu’à  présent, le mexicain Carlos Reygadas nous avait plutôt agacés par sa prétention ostentatoire, son goût de la provocation et sa recherche formaliste à  tout prix. Après Japon en 2003, chronique du retrait d’un vieux citadin à  la campagne pour se préparer à  la mort et le scandaleux Batalia en el cielo deux ans plus tard,

dérive de Marcos, un chauffeur hanté par l’enlèvement d’un enfant commis avec sa femme, Carlos Reygadas avec son troisième opus – qui a reçu le Prix du Jury à  Cannes – confirme son statut d’artiste destructeur et sacrificiel et nous convainc enfin.

Probablement parce qu’il réussit ce qui nous apparaît être la symbiose parfaite entre le fond et la forme. Un fond idéalement simple : au Mexique, dans la communauté des Mennonites, une secte protestante émigrée en Amérique au XVIIIème siècle et parlant un dialecte germanique, Johan, mari de Esther, père de sept enfants, vit en parallèle une passion amoureuse avec Marianne, ce que les rites de sa communauté interdisent, le plongeant dans un tiraillement métaphysique.

Du fait de l’origine et du dialecte de ses personnages, du traitement épuré et artistique en longs plans-séquences, de la dimension mystique du sujet, on associe assez aisément Lumière silencieuse à  des références venues du nord de l’Europe : Dreyer pour la parabole sur la foi et le miracle et Bergman pour les tourments silencieux et ravageurs de Johan, Esther et Marianne. Johan cherche ainsi des conseils et du réconfort auprès du garagiste Zacarias et de son père pasteur. Si les deux l’assurent de son soutien et l’envient curieusement, Johan ne trouve pas en lui ni dans sa croyance la force de ne plus voir Marianne et d’apaiser ainsi la souffrance de Esther qu’il tient informée de son incartade depuis le début.
On craint d’abord d’être rebutés à  la vue des premiers plans : un lent lever de soleil suivi du petit déjeuner familial et frugal de Johan et les siens. Mais en apprivoisant cette lenteur, le charme survient et pour peu d’accepter de partager l’état de transe qui habite Carlos Reygadas on est alors mis en face d’une véritable expérience sensorielle qui subjgue par la splendeur et le rythme des plans. Ceux-ci revêtent un aspect presque documentaire lorsqu’ils s’attachent à  montrer les personnages dans l’exercice de leurs activités agricoles. Lumière silencieuse est donc un kaléidoscope de moments dont on retient entre autres la scène de toilette des enfants dans un bassin naturel et celle du trajet en voiture de Johan et Esther sous une pluie battante.
Car, comme dans Japon et Batalia en el cielo, la nature prend ici toute son importance : les paysages de la région du Chihuahua au nord du Mexique offrent d’immenses landes herbeuses sous des ciels striés de nuages lourds et menaçants, cadres idéaux pour l’esthète Reygadas qui place l’Homme fragile et désemparé au sein d’une nature luxuriante et inamovible.

Lumière silencieuse se termine par le même plan, mais il s’agit cette fois d’un coucher de soleil, donnant l’impression que le film s’est déroulé sur une seule journée. Pourtant, nous avons assisté au passage des saisons et des événements mais ce singulier rapport au temps finit par nous plonger davantage dans l’étrange.
Le baroque cinéaste mexicain, âgé de 36 ans, signe donc un troisième long-métrage stupéfiant qui digère toutes ses influences et parvient à  l’adéquation entre son propos et la forme employée.

Patrick Braganti

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Lumière silencieuse (Titre original : Stellet Licht)
Film mexicain de Carlos Reygadas
Genre : Drame
Durée : 2h15
Sortie : 5 Décembre 2007
Avec Cornelio Wall, Miriam Toews, Maria Pankratz

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