Still Walking

affiche_11.jpgDans Still Walking, le comportement d’un des personnages se manifeste de manière récurrente et paraît contenir en lui toute la problématique abordée par Kore-Eda Hirokazu, cinéaste japonais qui puise souvent son inspiration dans des faits divers tragiques, comme ce fut le cas en 2004 avec Nobody Knows. En effet, le fils de famille revenu à  Yokohama pour commémorer la mort tragique de son aîné se cogne contre le chambranle des portes, comme s’il était devenu trop grand pour pouvoir tenir dans la maison de son enfance, ou comme si, surtout, il n’y trouvait plus sa place légitime. Il est vrai que, accompagné de sa femme, une veuve déjà  mère d’un jeune garçon, ce fils parti à  la ville reçoit un accueil glacial de la part de son père, médecin à  la retraite, pour qui, sans ambages, c’est le bon fils qui est mort et le mauvais qui est resté. Les femmes, : la mère et la soeur tentent d’arrondir les angles, l’une en préparant une nourriture abondante et l’autre en badinant plus que de raison.

Pour nous occidentaux, l’intérêt principal de Still Walking n’est pas tant dans la dissection de relations familiales que dans le contexte culturel qui les entoure et en révèle beaucoup de la civilisation nippone, tout comme l’avait déjà  permis il y a quelques semaines le splendide Tokyo Sonata, qui, cependant, avait une approche plus urbaine, plus ancrée dans la dure réalité économique. Still Walking s’attache à  la cellule familiale avant tout. Au Japon, comme partout ailleurs, la mort d’un frère, d’un fils provoque des ravages et met à  terre le fragile équilibre des relations. Déception, rancoeur et chagrin inextinguible sont au rendez-vous mais c’est la manière avec laquelle ces sentiments s’expriment qui fait toute la différence et rend ainsi ce film sensible passionnant. Les éclats de voix et les crises frontales ne semblent pas faire partie des usages locaux, : on s’emploie ici à  rester déférents et attentionnés en toute circonstance, malgré les paroles blessantes et violentes du père. Cette attitude apparemment soumise où courber l’échine et ne pas montrer une réaction vive et épidermique constituent des règles de vie ne doit pourtant pas se réduire à  la pratique de l’esquive permanente dans la perspective de sauver les apparences. Dans une société éminemment patriarcale – le vieux médecin est le roi chez lui et n’effectue pas la moindre tâche domestique – la vieille mère, qui n’a jamais exercé d’activité professionnelle, ne s’en laisse néanmoins pas conter et n’hésite pas à  asséner sa façon de voir. Tout au long de Still Walking, affleure une violence sourde et rentrée qui plane sur la maisonnée. Les seules bouffées d’oxygène sont les scènes d’extérieur, les seules bénéficiant d’un habillage musical, : les jeux des enfants – deux garçons et une fille comme reproduction du trio des aînés aujourd’hui brisé – ou une visite au cimetière.

Lorsque la mère explique pourquoi elle invite chaque année le garçon à  qui son fils sauva la vie et perdit par la même occasion la sienne, le vernis des convenances et la force des rites en prennent soudain un sérieux coup. Derrière les courbettes et une politesse trop exquise pour être réellement sincère, surgissent les ressentiments et les douleurs. Et il faut en éprouver beaucoup de cette douleur chevillée à  l’âme pour s’enflammer pour un papillon jaune entré dans la maison. Sans être fin connaisseur de la culture japonaise, on n’en perçoit pas moins les coutumes qui régissent les échanges, l’importance accordée aux détails – comment un achat de pyjama peut revêtir une grande signification. Préserver les liens et l’unité apparente d’une famille désunie constitue là  aussi un objectif. Kore-Eda Hirokazu ne tranche surtout pas quant à  sa concrétisation ou pas, : les fossés creusés ne se comblent pas mais les traditions perdurent et avec elles le besoin de transmettre et de passer le témoin.

Still Walking est un film infiniment délicat et subtil, dont la mise en scène aux cadres soignés, qui sait utiliser à  bon escient le hors champ, est au diapason. Le mariage entre légèreté et gravité, avec l’effleurement comme ligne de conduite, fonctionne parfaitement. Ancré dans un Japon loin des mégapoles, encore tourné vers la tradition, Still Walking réussit pourtant à  toucher les spectateurs les plus éloignés de cet univers presque corseté et figé. Preuve que les histoires de famille et toute la palette des sentiments qui les accompagnent dépassent largement les frontières et trouvent un écho partout. Du particulier au général, Kore-Eda Hirokazu vise juste et touche à  l’essentiel.

Patrick Braganti

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Still Walking
Film japonais de Kore-Eda Hirokazu
Genre : Drame
Durée : 1h55
Sortie : 22 Avril 2009
Avec Hiroshi Abe, Yoshio Harada, Kirin Kiki

La bande-annonce :

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