Fish Tank

affiche_8.jpgAndrea Arnold s’impose avec Fish Tank, son nouveau long-métrage comme l’une des grandes cinéastes de son temps, quelque part entre la sensibilité d’une Jane Campion et la crudité sociale d’un Ken Loach. Après le viscéral et inoubliable Red Road, cette jeune britannique continue à  explorer le domaine des évasions, des illusions, des fuites loin d’un monde fangeux, fait de barres d’immeubles et de bitume crasseux.

Toujours sa caméra se place dans ce réel peu reluisant, quasiment fatal et dont la sensualité ressort des échappées sauvages (dans la nature ou dans le sexe). Fish Tank, plus ancré dans ce fatalisme poétique que le précédent film de la réalisatrice (toutefois plus fort), est l’histoire d’une jeunesse pas vraiment dorée, d’une passion, d’un dialogue, d’un possible avenir et de l’amour naissant avant les tristes révélations. On ne sait rien du personnage alors que la caméra joue du corps-à -corps. L’attachement qu’il créé ne nous éclaire pas sur les questions principales qui forment le personnage durant le film ; a-t-elle réellement ce désir trouble pour l’ami de sa mère? Est-elle vierge? Consciente? Il résulte de ce mystère le prétexte à  une déconnexion du réalisme totale.

Fish Tank n’est pas un film social au sens abrupt, avec découpage serré, absence d’esthétisme, regard politique et exposition d’une réalité des faits ; au contraire, il tient du fantasme (voir comment le récit dérive peu à  peu vers une folie amoureuse contenue), très centré sur cette approche féminine dans le désir de la chair, et Andrea Arnold se fait l’esthète des privations, de la misère et de la langueur pour prendre le pouls de la société contemporaine qui tente de survivre en Grande-Bretagne. Ses barres d’immeubles sont majestueuses dans cet horizon plombé, les virées où l’on se fait plaisir prennent un air d’escapades esquissées par des pinceaux trempés dans leurs flaques d’argent, les visages, les corps, tout est effleuré avec la grâce veloutée de la distance parfaite. La réduction du cadre en un format carré et l’utilisation de la vidéo permettent une pénétration entière dans le film, resserré puisque les barrières résultant de la contrainte formelle réduisent les espaces pour concentrer l’énergie sur les corps, ce qui n’exclut pas la profondeur de champ. Tout est dans l’éloignement des paysages, créant justement une fuite possible uniquement vers le devant.

Acceptée la sensation d’être enfermé dans l’intimité difficile du quotidien adolescent, dans l’ennui chronique des autres, il ressort du film des joyaux de finesse et d’émotion, chaque séquence étant une présence absolue, incarnée, dans laquelle les personnages vivent jusqu’à  en perdre l’esprit (ce que les acteurs, tous autant, apportent avec une évidence remarquable). Les humains y sont à  double tranchant (Mia est passionnée, acharnée, mais cet acharnement se retourne contre elle dans la séquence du kidnapping qui révèle une jeune fille troublée, incontrôlable ; Connor, lui, est à  la fois un bel homme sensible et compréhensif qui va déraper peu à  peu dans l’inconscience et l’amour bâtard), le cadre toujours centré, mouvementé, continu. L’image évoque toujours l’avancement dont il est uniquement question. Chaque mouvement (le plus simple, marcher, tout comme celui d’une chorégraphie) est un pas décidé vers l’ailleurs.

Mais le désenchantement s’impose quand les illusions se révèlent tels des couperets imprévus. La jument blanche est morte, l’évasion finie, le droit au rêve se clôt amèrement. Sans cheval il n’y a plus de but, il n’y a plus la liberté que l’on veut donner comme celle dont on veut profiter. Il n’y a plus l’adolescence mais le monde adulte, il n’y a plus qu’un devenir , incertain, obligatoire, sans lumière, qui s’annonce. Il n’y a plus l’oreille douce de la jument à  caresser, ses formes à  frôler comme le corps d’un homme que l’on observe. La fin du cheval symbolise la fin des hommes car celui-ci incarne l’élan et le rêve qu’il nous transporte ailleurs irradie en nous. Il ne reste plus à  la famille qu’à  se reconstruire partiellement le temps d’une danse grotesque où le pathétisme cul-terreux de la mère ivre s’oublie presque face à  la pureté des retrouvailles, pour ne pas dire qu’il s’agit du premier moment où enfin se rencontrent mère et fille.

Puis, comme une parenthèse, une promesse non-tenue, la suite s’invite et dérègle le bonheur. Mia se retourne à  l’arrière de la voiture qui l’emmène et voit sa petite soeur s’éloigner au fur et à  mesure que le moteur ronronne. La voilà  qui retrouve ses copines de huit ans aux âges perdus, l’air des prostituées déjà  terrassées par la tristesse avant même de connaître la vie. Mia est oubliée, on a détourné le regard de son visage amoureux. La voilà  perdue, on ne sait où, là  où la promesse s’abandonnera au funeste destin des jeunes filles qui ont eu la chance de rêver. Un court plan de ballon en forme de coeur qui s’envole par-delà  les cités nous rappelle que le bonheur n’est qu’un moment furtif qu’il faut saisir au vol avant qu’il ne nous échappe pour le reste de nos vies.

Jean-Baptiste Doulcet

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Fish Tank
Film britannique de Andrea Arnold
Genre : Drame
Durée : 2h02
Sortie : 16 Septembre 2009
Avec Katie Jarvis, Kierston Wareing, Michael Fassbender,…

La bande-annonce :

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