Laisse-moi entrer

laisse_moi_entrer.jpgAu premier abord, le projet laisse perplexe : remettre en scène un joyau du cinéma fantastique daté d’un an et demi par un cinéaste américain qui, si l’on avait apprécié la puissance formelle de son précédent film (« Cloverfield »), risquait de tomber dans le film de commande opportuniste.

A l’écran, il n’en est rien ; certes le scénario ne se départit peut-être pas assez de l’original pour sortir de la convention et de la répétitivité, mais le style fascinant qu’imprime Matt Reeves offre à  cette traduction une personnalité inattendue. A la différence de »Morse » »Laisse-moi entrer » s’ancre dans un contexte historique qui dirige, en filigrane, l’attitude des personnages et en font les métaphores d’un pays meurtri.

Dès la séquence introductive, dont les ombres hitchcockiennes dévorent l’écran, le film développe une atmosphère magnétique, hypnotisante, quelquepart entre l’esthétisme et le mystère. Ensuite, on comprend qu’au contraire de Tomas Alfredson, Matt Reeves a des tendances psychologisantes qui ont pour but de créer un crescendo dramatique, au risque de perdre souvent l’émotion et la poésie qui faisait toute la force de »Morse ». Mais les embardées psychologiques du film sont habiles, montrant avec une grande ingéniosité les rouages psychiques de son protagoniste et son désir d’aimer un être qui l’attire pour sa différence. Sur le terrain dramaturgique, le scénario est étonnamment solide, certainement plus que son prédecesseur même si l’abus d’empreinte horrifique nuit parfois à  la démarche ; quelques effets spéciaux assez pauvres viennent plomber l’humanité des personnages pour en faire de simples vampires. Ces séquences sont heureusement disséminées avec parcimonie, jamais dans l’excès fantastique.

Cependant l’abandon de la nostalgie et de la sobriété pour une mise en scène plus ferme et philosophique dans ce qu’elle transmet transforme le matériau original en quelquechose de plus vif qui n’a peut-être pas autant d’emprise sur la langueur du rythme. D’où naît alors la frustration d’un cinéma nerveux qui ne décolle jamais autre part que dans des accès visuels inspirés. Mais il est heureux de constater que Matt Reeves n’a pas recopié son modèle et lui a créé une nouvelle mélancolie, plus morbide encore, proche de l’imagerie de Richard Kelly ou Zack Snyder. L’étude comparative entre les deux films en devient fascinante, autant dans les changements majeurs de l’intrigue (l’aura mystérieuse qui se développe par le montage autour du père – ? – vampire), comme dans la force acquise ou perdue selon les séquences (oui pour l’observation clinique du début, non pour l’anthologique scène de la piscine).

Le jeu subtil et nuancé des deux jeunes comédiens affirment eux-même une approche différente de l’enfance si on la compare à  la précédente version. Au final »Laisse-moi entrer » laisse l’impression de ne jamais rien gagner ou perdre de l’oeuvre originale, transposant les qualités et les défauts du film à  d’autres endroits »Laisse-moi entrer » a pour seul handicap de nous donner l’évidente impression d’avoir déjà  vu ce film auparavant. Mais la maîtrise psychologique et scénique du film est rassurante quand à  l’état des remakes américains, et peut assurer sans doute à  Matt Reeves une belle relève dans la cinématographie US, maniant avec élégance l’intimisme enfantin et la tragédie mythologique intelligemment transposée.

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Jean-Baptiste Doulcet

Laisse-moi entrer
film américain de Matt Reeves
Genre : Drame / Fantastique / Epouvante
Durée : 1h47min
Avec : Kodi Smit-McPhee, Chloe Moretz, Richard Jenkins…
Date de sortie cinéma : 6 Octobre 2010