Biutiful

Biutiful.bmpInarritu, érigé en maître par une nouvelle génération de cinéphiles avides d’émotions fortes et de scénarios métaphoriques, reste toujours après ce »Biutiful » un cinéaste inclassable malgré les évocations très limpides de son cinéma, entre brouillage humanitaire, démarche sociale et démonstration des codes bibliques.

Il laisse l’impression d’un artiste assurément talentueux, peut-être presque trop au point que son art en devient d’une virtuosité propre à  gêner la dimension si simple qu’il veut atteindre. On pourra alors être, selon les préférences de chacun, ravi ou déçu que son nouveau film se départisse des affects architecturaux des précédents récits. Car »Biutiful » au contraire de ses trois films antérieurs (tous convaincants à  leur manière), opère moins par touches successives formant une dramaturgie solide que par une voie linéaire qui contraint Inarritu à  charger la mule pour assurer le rôle d’une émotion séductrice.

Il sera plutôt aisé de constater que ce qu’Inarritu perd ici en inventivité, il le gagne clairement en force émotive. Les facilités de son scénario n’en demeurent pas moins assumées avec conviction, obligeant le spectateur à  regarder une accumulation de péripéties qu’il n’a pas forcément envie de voir. Pour autant Inarritu ne tombe jamais dans le mauvais goût, simplement parce que la sensiblerie qui guette non loin ne s’immisce à  aucun moment dans le film. La volonté de fer du cinéaste de ne montrer que l’humanité flamboyante de ses personnages, fêlés mais magnifiquement incarnés, apporte forcément à « Biutiful » une sincérité dont il se pare à  chaque instant comme un bouclier.

L’interprétation magistrale de Bardem (dont on n’aura pas dit beaucoup de bien pour rien) est l’une des évidentes attractions sur laquelle le film joue pour éviter de trahir le spectateur sur les ambitions humanistes qu’affiche son réalisateur. Car dans sa naîveté autant que dans sa dureté, »Biutiful » est souvent proche du surréalisme tant il dit candidement le mal subi par une mosaîque désoeuvrée, dans les bas-fonds de Barcelone. A force de surenchérir dans le mélodrame, Inarritu touche un point d’outrance qui fait sérieusement douter de la probabilité d’une telle histoire. Pourtant la misère du monde ici dépeinte est un ravage qui nous atteint émotionnellement sans que l’on puisse se rendre compte de sa violence, et c’est justement par le surdosage qu’Inarritu s’assure de remplir ses fonctions de cinéaste engagé à  nous concerner.

Il est alors dommage de constater que l’utilisation du langage fantastique reste en retrait, offrant une hypnose entêtante le temps de deux courtes scènes. On aurait aimé que le rôle d’Uxbal (qui accompagne l’âme des morts) donne lieu à  plus de séquences confondant sa propre réalité pour échapper à  la morbidité de certains passages. Mais dans son crescendo ravageur, déterminé, »Biutiful » impose sa mélancolie et sa violence frontale, un peu trop enrobée, avec la force d’un metteur en scène qui sait comment atteindre son but. L’épilogue le prouve dans un sublime hors-champ d’une simplicité totale, essentiel pour clôre les torrents de feu qui se sont abattus sur les personnages.

On aimerait parfois que la mise en scène joue plus souvent l’aspect de cet invisible, au lieu de se contraindre à  ne filmer que la force brute des choses (toutefois proche de l’esthétisme et donc de la facticité). Tout comme le contrepoint de deux personnages auxquels on peine à  s’identifier tant ils incarnent une image symbolique (l’une salvatrice de la mère noire, l’autre carrément inutile de l’employeur illégal chinois et gay). Ces portraits, même s’ils ne sont qu’esquissés, bloquent la dramaturgie poigneusement restreinte du récit linéaire appartenant à  Uxbal et au film tel qu’il aurait du être, c’est-à -dire centré jusqu’au bout sur la spiritualité de son héros déguisé en salopard, sur la fin de sa vie et ses derniers soubresauts d’humanité, d’espoir, là  où se révèle enfin la vraie lumière de l’Homme.

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Jean-Baptiste Doulcet

Biutiful
(PRIX D’INTERPRETATION MASCULINE pour Javier Bardem : Cannes 2010)
Film mexicain de Alejandro Gonzalez Inarritu
Genre : Drame
Durée : 2h18min
Avec : Javier Bardem, Maricel Alvarez, Eduard Fernandez…
Date de sortie cinéma : 20 Octobre 2010