Shahada

A travers le portrait de trois jeunes musulmans appartenant à  la communauté turque, le cinéaste Burhan Qurbani signe avec Shahada un premier long-métrage qui s’attache aux questions de croyance et de pratique religieuse islamique. Située à  Berlin, l’histoire s’ancre dans la réalité contemporaine qu’elle ne manque pas de confronter aux rites et traditions de l’Islam. Outre leur foi et leur jeunesse, les trois protagonistes partagent également un sentiment tenace de culpabilité qu’ils pensent combattre ou pouvoir tenir éloigné grâce à  une observation scrupuleuse des enseignements du Coran pour deux d’entre eux et à  un acte d’abnégation pour le troisième.

Les deux jeunes gens qui pensent et espèrent trouver leur salut dans l’accomplissement méthodique des préceptes coraniques, quitte à  se les approprier à  dessein personnel, sont respectivement Sammi, un nigérian qui travaille avec sa mère dans une poissonnerie et qui est troublé par l’attirance éprouvée pour son collègue, et Maryam, fille de l’imam local, qui vient d’avorter clandestinement et subit des complications qui l’effraient et dans lesquelles elle voit le jugement du Prophète. Quant à  Ismail, il est un policier, avec femme et enfant, néanmoins captivé par une autre femme dont il aurait tué le fils.

Construit en cinq volets, : le début du voyage, le dévouement, le sacrifice, l’abnégation et le choix du chemin, Shahada n’est pas à  proprement parler un film choral car il ne provoque pas la rencontre des trois personnages, même si certains lieux ou rebondissements des trajectoires les rapprochent inexorablement. Dans ce projet de fin d’études, le réalisateur n’utilise pas avec exagération et volontarisme ses ressorts dramaturgiques potentiels, optant davantage pour l’interrogation, correctement posée mais résolue avec lourdeur et imperfection, de la place de l’intervention divine dans la vie quotidienne. Plus qu’une oeuvre sur la religion, qui au demeurant serait une promotion négative et caricaturale de la foi musulmane, Shahada se concentre plutôt sur les conséquences de la responsabilité individuelle au regard d’actes jugés contraires aux doctrines, ou plus exactement à  l’interprétation de celles-ci, notamment durant les réunions à  la mosquée ou les conversations dans le groupe de femmes.

En s’inspirant de ses propres expériences marquées par le tiraillement entre tradition imposée par la religion et, surtout, la communauté qui s’y rattache, et quête de liberté et d’indépendance, rendues possibles par l’émancipation, Burhan Qurbani choisit un sujet difficile, ; cependant son souci de bien faire et de rendre compte de façon presque sociologique d’un état de faits n’empêche nullement les affèteries de mise en scène (usage des flous et d’angles à  la sophistication appuyée et omniprésence d’une musique signifiante) et le surgissement, prévisible mais dommageable, des clichés et poncifs qui handicapent tant la narration qu’ils finissent par être contre-productifs et la déréaliser. Enfin, la propension, qui révèle au mieux un optimisme honorable, au pire une naîveté confondante, à  faire rentrer les choses dans un certain ordre (le retour du policier au bercail illustre à  merveille le refus de la radicalité et la mise en avant d’un consensus somme toute décevant) nuit dangereusement à  l’ambition manifestée. Ce sont sans doute d’une part l’abondance des thèmes (avortement, homosexualité, mixité ethnique, éthique policière, rapports intergénérationnels) et d’autre part l’absence illogique, voire l’aporie qu’elle porte en elle, d’un réel approfondissement des personnages qui dévaluent le plus Shahada.

Patrick Braganti

Shahada
Drame allemand de Burhan Qurbani
Durée : 1h29
Sortie : 26 Janvier 2011
Avec Maryam Zaree, Carlo Ljubek, Jeremias Acheampong,….

La bande-annonce :