Camille Claudel 1915 – Bruno Dumont

La critique institutionnelle dans une presque absolue unanimité (suspecte, ?) est à  genoux (la position idéale) et tombe en pâmoison devant Camille Claudel 1915, le dernier film du nordiste Bruno Dumont. À force de communiquer sur l’absence de maquillage et la figure émaciée de Juliette Binoche et sur la juxtaposition de l’actrice avec de vrais malades mentaux, on ne finit par n’attendre, ne guetter et ne remarquer que ces signes. Il est vrai qu’on a tout loisir d’être observateurs, scrutateurs sans doute macabres et guère à  l’aise, tant il ne se passe à  peu près rien durant ces trois journées se clôturant par la visite du cadet Paul à  sa soeur. Camille Claudel, enfermée dans l’asile de Montdevergues dans le Vaucluse, prépare elle-même ses frugaux repas de peur d’être empoisonnée, prie, écrit des lettres et se promène, entourée des Soeurs austères qui lui donnent du  » Mademoiselle Claudel,  » avec l’accent chantant et se répand longuement dans un long monologue auprès du vieux médecin silencieux. Elle livre un discours similaire deux journées après à  son frère Paul, lequel, le genou à  terre dans le crépuscule puis torse nu dans sa chambre spartiate de l’abbaye locale, décrit son rapport (abscons) à  Dieu et la chrétienté dans un long soliloque.

Comme toujours chez le réalisateur de Hors Satan, la beauté et la rigueur formelles sont présentes. Également l’austérité et l’hiératisme qui font de Camille Claudel 1915 un film âpre et difficile, dans lequel il est franchement difficile de pénétrer, pour peu que les choses de la religion et du mysticisme vous soient étrangères ou indifférentes. Seule après avoir quitté Auguste Rodin, recluse dans son atelier, la sculptrice mise à  l’index sombre dans la folie et est internée à  la demande de sa famille. Au bout de deux années de privation de liberté, l’artiste, amaigrie et négligée, est épuisée, hurlant son désespoir ou sombrant dans l’apathie. Son regard fixe parait voir des horizons ou des visions visibles d’elle seule. Sa sensibilité est à  fleur de peau, alternant entre crises de larmes et rires sardoniques. Elle erre et se décompose au milieu de malades qui, eux, sont de véritables fous et aliénés, aux visages déformés par des grimaces et des rictus incontrôlables. C.’est probablement la limite du film. Le statut social et psychique de l’artiste entre en contraste, sinon en conflit, avec celui des autres internées de l’établissement. Une scène achève de nous convaincre, : réfugiée dans la chapelle pour prier et remercier Dieu de la visite annoncée de son frère, , Juliette Binoche en sort le visage transfiguré, rit en exhibant une dentition impeccable. Dès lors, le visage sans maquillage, cerné et las, les joues creusées ne paraissent plus aussi justes et un autre type de malaise nous taraude, celui d’une complaisance, d’une idée perverse. Dans cette impression rejaillit une nouvelle fois la question jamais résolue de la manière qu’a Bruno Dumont de regarder ses personnages et ses comédiens. La plupart sont des non-professionnels. Ils ont tous aussi en commun leur animalité et leur anormalité, dont on ne saisit pas toujours ce que le cinéaste veut en faire ou quel message elles permettent d’élaborer.

Il est ainsi compliqué de trancher sur la nature du regard de Bruno Dumont sur ces †˜freaks’. Humanité ou indifférence, juste comme des compagnes fortuites et durables de Camille Claudel. La détresse de la sculptrice est évidemment déchirante et rend encore plus inacceptable l’attitude rigoriste de son lettré de frère, d’abord préoccupé de s’extirper de son,  » bagne matérialiste, « . La justesse et la sobriété de Juliette Binoche et de l’acteur de théâtre Jean-Luc Vincent ne sont pas à  mettre en doute, mais l’extrême ascèse et l’aspect indubitablement hiératique de l’ensemble ne placent pas le spectateur dans une position facile, sinon agréable, écartelé entre compassion et agacement.

Patrick Braganti

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Camille Claudel 1915
Drame français de Bruno Dumont
Sortie : 13 mars 2013
Durée : 01h35