Plusieurs années après avoir dépeint la figure du père dans ce qui reste à la fois une oeuvre solide, insolente, intelligente et à bien des égards touchante -son brillant » Fun Home « – c’est à sa mère qu’Alison Bechdel propose de s’attaquer avec un brio et une signature désormais indiscutables.
Il ne s’agit pas là d’une virulente critique de la femme et mère qu’elle fut pour sa fille, encore moins d’un tableau de famille sentimental et égoîste puisqu’il manquerait beaucoup trop d’éléments-clés pour cela, mais bel et bien d’une interrogation sur le rôle, la figure maternelle, et à fortiori sur la relation mère/fille qui s’insert dans les contours d’un prisme personnel dont l’ouverture va au-delà de ce que l’on pourrait croire être un malaise de fille lesbienne.
Alison Bechdel dont les multiples thérapies personnelles l’ont rapproché de grands psychanalystes tel que Donald Winnicott ou encore de lectures féminines telles que celles de la londonienne Virginia Woolf a très clairement travaillé son sujet et propose l’étude de sa propre mère et de se relation à elle pour valider, mettre en lumière ou expliquer les théories auxquelles elle fut confrontée. C.’est un travail colossal esquissé en une pâle bichromie qui fait preuve d’une réelle précision dans le fond comme dans la forme et qui expliquera immanquablement le temps qu’il lui aura fallu pour nous faire parvenir ce nouvel opus : 7 ans.
Si l’on peut se laisser tenter de soupçonner de prime abord que ce titre n’est qu’une reprise de son succès original en version féminine, l’écriture, le travail et le coeur qu’elle y met viendront rapidement dissiper nos doutes. C.’est une Bechdel forte d’un tout autre travail de réflexion qui nous interpelle ici, peut-être parfois un peu scolaire et flirtant avec l’inintelligible pour le lecteur lambda non spécialisé mais qui vient chercher dans la recherche, la psychanalyse, des réponses à ses questions pour nous les proposer. Il y a peut-être dans » C.’est Toi Ma Maman » moins de coeur et plus de cerveau, et on a peut-être également le sentiment qu’il y a plus de jargon et moins d’introspection mais il en demeure une réelle profondeur qui résonne jusqu’aux marges de la dernière page. Sans crier gare, on se rendra compte que l’on s’est attaché à l’enfant et l’adulte Bechdel et que nous avons tout saisi de ses malaises et interrogations. On ira peut-être même, qui sait, piqué par la curiosité, ouvrir un Virginia Woolf.
En bref, une de ces BD qui remporte haut la main la qualification de roman graphique, et qui vient à point nommé pour souligner que Bechdel est devenue une auteure incontournable de ce siècle.
Fabrice Blanchefort
C.’est Toi Ma Maman : Un Drame Comique
Scénario & dessin : Alison Bechdel
Éditeur : Denoël Graphic
304 pages- 24€¬
Parution: Octobre 2013