Fuir Pénélope – Denis Podalydès

livre_galerie_2245†œJamais avec toi je ne me suis sentie choyée, protégée, élue… Comment as-tu pu être aussi dégueulasse, aussi salaud ?† Lorsque vous êtes congédié de cette façon au profit de †œquelqu’un de solide et de vrai†, le salut est (peut-être) dans la fuite. Gabriel, jeune acteur versaillais frais émoulu du Conservatoire, se voit proposer précisément le rôle d’un jeune acteur au chômage dans un film qui l’envoie en Grèce, et il n’y voit que des avantages : celui de mettre de la distance entre la colère de la belle Marianne et lui, et un terme à  †œune jeunesse incertaine, anxieuse et immobile.†

Juan, le réalisateur, a été l’assistant d’Angelopoulos, mais le tournage de †œL’étrangère†, entre Grèce, Espagne et Italie, patauge. Gabriel peine à  cerner son personnage, sa partenaire parle un sabir qui n’a que peu à  voir avec le français, mais ses déboires de débutant atteignent leur point culminant lorsqu’il est oublié un soir sur la colline de Fiesole, †œpetite vedette inconnue et abandonnée, une étoile à  peine luisante, un astéroîde posé en lointaine galaxie†. De quoi le ramener à  une certaine humilité, s’il en était besoin.
Gabriel croyait quitter le chagrin parisien et courir vers la lumière grecque. Ce n’est pas si clair, quand Marianne, la (presque) oubliée, l’évanescente, la furieuse, s’invite avec autorité dans ses pensées. †œElle travaille sûrement, pense peut-être à  moi non sans une affection parfaitement détachée, se demandant peut-être comment elle a pu si longtemps croire que nous étions faits l’un pour l’autre.† Heureusement, Rabelais reste le meilleur allié de notre acteur en errance, et même en déshérence.

Denis Podalydès nous fait partager avec subtilité quelques semaines dans la vie d’un acteur : l’enthousiasme initial,,  l’attente entre les hésitations du tournage, la vie de l’homme qui vient tourmenter le comédien,,  le doute et même parfois le découragement : †œIls se sont foutus de moi, je n’ai aucune présence, on m’a engagé parce que j’avale les couleuvres en faisant bonne figure.†
Avec un humour constant, un art du portrait digne de La Bruyère et une autodérision talonnée par une mélancolie tenace, l’auteur nous montre une belle palette d’écrivain, et ce n’est pas là  son plus mauvais rôle.

Brigitte Tissot

Fuir Pénélope
Roman français de Denis Podalydès
Editeur : Mercure de France
280 pages – 18,80€¬
Parution : janvier 2014

Extrait

†œAu cinéma les acteurs de théâtre se voient, se détectent, à  leur manière de parler, d’articuler trop, de faire des ruptures de sens, de prévoir le ton de leur phrase et de parler trop fort. (« ) On engage les acteurs de théâtre pour jouer les avocats, les professeurs, les psychanalystes. Ou de tout petits rôles de copains, de comparses.†
L’acteur de cinéma †œse marre avec les techniciens. Avec les habilleuses. Il demande ce qu’on va faire demain, songe à  peine à  lire les scènes à  venir. Aimerait bien faire du théâtre. N’y va pas beaucoup. Admire de loin.L’acteur de théâtre ne la ramène plus. Il limite sa conversation avec l’acteur de cinéma qui se montre plus accueillant, plus chaleureux que l’acteur de théâtre. Celui-là  reste un peu raide, silencieux, rêvant avec une sorte d’austérité malvenue, un dédain blessé, qu’il veut pourtant cacher. L’acteur de théâtre voudrait l’y voir, sur un grand plateau, lui, là , l’acteur de cinéma, un grand plateau dans une très grande salle, il ferait moins le malin, avec sa voix rentrée, ses murmures de mollasson, ses oeillades de petite frappe, petit con, va.†