[Monnot-mania] Marc Morvan & Ben Jarry – Ophélia

ben-jarryVoilà  une initiative faite pour me plaire : construire un pont entre musique et littérature, entre pop-rock et Hamlet – l’Elvis d’Elseneur – duquel Ophelia la belle puisse sauter dans l’harmonie la plus totale. Je parlais il y a peu de Playing Carver, ce collectif ayant planché sur les nouvelles et poèmes de Raymond Carver, cette semaine Marc Morvan & Ben Jarry nous jouent du Shakespeare ! Autre similitude, l’origine scénographique des deux projets : le premier réalisé puis prolongé en album, le second, qui nous intéresse ici, avorté mais tout de même gravé dans le marbre de ce bel Ophelia L.P.

S.’attaquer aux monuments est risqué. Ce n’est pas parce que tu t.’appropries ou tentes d’intégrer à  ta création l’âme d’un génie que la lumière va jaillir de tes doigts »beaucoup s’y sont brisé les os et aucun fossoyeur ne viendra les déterrer pour en révéler l’essence yorikienne bouffonne et pathétique ! Tout le monde n’est pas Leonard Bernstein (West Side Story/Roméo Et Juliette) ou plus discrètement Gus Van Sant (My Own Private Idaho/Henry IV et V) et c’est tant mieux »

Au commencement, il y a une commande du metteur en scène David Bobbé qui monte Hamlet à  Lyon en 2010 si je ne dis pas de bêtises et qui propose à  Morvan d’intégrer au show quelques chansons, composées pour l’occasion, reprenant des bribes du texte de la tragédie. Au final le projet avorte, non pour raisons qualitatives mais pour des impératifs de timing théâtral. N.’en reste pas moins que Marc Morvan et Ben Jarry (respectivement guitare/voix et violoncelle) ont commencé le job et n’entendent pas le laisser en plan.

Le projet aboutit donc avec ces cinq morceaux, chacun associé à  une scène de la pièce, quatre chantés, Shakespeare himself à  la plume, et un instrumental. Pour le coup, tu me feras le plaisir de (re)lire Hamlet s’il te plait, je sais, je t.’en demande beaucoup, Carver, T.E. Lawrence et maintenant du théâtre élisabéthain »tout ça en à  peine un mois ! T.’inquiète… ça saigne autant qu’un Walking Dead et c’est plein d’humour noir.

Cinq morceaux habilement agencés dans l’ordre quasi-chronologique du déroulement de la pièce, habillés d’arpèges de guitare sèche et de très belles cordes pour l’axe central, enguirlandé de piano et de la très opportune batterie jazzy de Basile Ferriot (One Lick Less, Moesgaard …). Ne prends pas peur, il s’agit de belles balades, chuchotées, extrêmement ciselées et envoûtantes. Le coup de maître réside dans le fait que chaque thème musical retranscrit l’ambiance de la scène qu’il accompagne »La magnifique  » Rose Of May  » fredonnée par Eléonore James (Mermonte) te fait plonger dans la folie d’Ophélie, Battlefield, paradoxalement toute en douceur, te protège du bain de sang final, le projetant au ralenti sur un drap blanc, te le narrant comme une légende lointaine »habile générique de fin. En ouverture,  » The Ghost  » va te faire penser au Velvet, puis tu croiseras Brad Mehldau reprenant du Radiohead sur  » The Play Within The Play  » et d’autres choses de folk un peu baroque »je te donne des pistes, des repères… tu vois.

Pour le visuel, ne te fie pas à  la pochette kitsch mais tout en symboles depuis les roses – jeunesse, beauté, amour – du maillot de bain à  la grosse bouée orange qui  » suggère qu’Ophélie refusera de se laisser submerger par l’eau qui est »le symbole profond, organique de la femme qui ne sait que pleurer ses peines » (Gaston Bachelard) «  »une Ophélie féministe donc, moderne et pop avec sa frange blond platine »dixit Marc Morvan qui, gentiment, s’est prêté au petit jeu de questions-réponses. Fie-toi plutôt au Hamlet de 1948 de Laurence Olivier et moins sérieusement à  la scène de Last Action Hero où Schwarzi campe le fier danois, redixit Marc »

Au vrai, tu n’as besoin de rien d’autre que tes oreilles pour apprécier pleinement ce petit album qui se tient très bien sur ses gambettes et qui, au bout du compte, ne nécessite aucun prérequis-canne shakespearien.

Shakespeare était le roi-passeur des émotions, cette délicieuse Ophelia ne trahit pas la cause, bien au contraire, elle l’orne comme une jolie broche retiendrait la grande cape du Prince Hamlet ! Par exemple »

Un grand merci à  Marc Morvan pour sa disponibilité, un album et un petit tour sont à  venir en 2015

Stéphane Monnot