Pulp, a film about life, death & supermarkets – Florian Habicht

Pulp, a film about life, death & supermarkets

Pulp, a film about life, death & supermarkets nous replonge dans la foule et les coulisses du dernier concert du groupe de Jarvis Cocker à Sheffield. Car l’esthétique, les paroles ou les postures de Pulp prennent d’autant plus de sens et de valeur dans le contexte et les paysages ouvriers de sa ville natale.

Pulp, c’est l’outsider de la vague Britpop qui déferle dans les charts musicaux au beau milieu des années 1990. Pulp, c’est un son et une esthétique qui détonnent de Blur et d’Oasis, les deux groupes ennemis qui se tirent alors la bourre et drainent quasiment toute l’attention médiatique, du moins en France, au côté de The Verve. Pulp, ce sont surtout des chansons pop dégoulinant de synthés, aux refrains entêtants, emmenées par le charismatique chanteur et parolier Jarvis Cocker. Natif de Sheffield, ville moyenne du Nord de l’Angleterre, le groupe ne se départira d’ailleurs jamais de ses origines populaires, à l’instar de son tube planétaire Common People (« Les gens normaux ») issu de son album Different Class (1995).

Le documentaire Pulp, a film about life, death & supermarkets s’ancre ainsi dans la ville natale de Pulp, lors d’une journée bien particulière : le 8 décembre 2012, marquant le dernier concert de l’ultime tournée du groupe. Car si Pulp a connu une carrière quasi underground tout au long des années 1980, le groupe perce enfin en 1994 avec His ‘N’ Hers et le titre Babies, dont les guitares au cordeau et les lyrics sexy de Jarvis deviennent la signature du groupe. La consécration arrive donc en 1995 avec Different Class, véritable phénomène de société au Royaume-Uni, reposant sur les textes satiriques du middle-class hero Jarvis Cocker.

L’album This is Hardcore  rend compte du désenchantement du groupe, de ses névroses et de ses angoisses

Pulp se retrouve alors propulsé en haut de l’affiche. Mais cette bande de jeunes musiciens « normaux » a bien du mal à assumer son nouveau statut de pop stars. This is Hardcore (1998) rend compte du désenchantement du groupe, de ses névroses et de ses angoisses liées au monde du showbiz. La formation implose finalement au début des années 2000, juste après la sortie de We Love Life, sans pour autant annoncer officiellement sa séparation.

Pourtant, après deux albums solo inégaux, Jarvis Cocker laisse entrevoir la possibilité de reformer le groupe, et de se lancer dans une tournée d’adieu qui débutera au Bikini de Toulouse en mai 2011 et passera également par l’Olympia. Une manière de donner un happy ending à l’histoire, en somme…
C’est donc au moment de clore cette tournée triomphale, lorsque le groupe se retrouve face à SON public, que se déroule Pulp, a film about life, death & supermarkets. Si l’on est d’emblée immergés dans l’ambiance survoltée du show, avec l’incontournable hymne Common People que le public chante à tue-tête, l’émotion et la nostalgie nous submergent. Des frissons nous gagnent. Et l’on se régale à redécouvrir les géniales paroles de Jarvis : « Tu ne vivras jamais comme les gens normaux / Tu ne feras jamais ce que font les gens normaux / Tu n’échoueras jamais comme les gens normaux / Tu ne verras jamais ta vie partir en couilles / Et danser, boire et baiser / Car il n’y a rien d’autre à foutre. »

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 Toute la ville de Sheffield vibre au rythme des chansons du groupe

Mais au-delà de quelques extraits live de titres incontournables, on pense notamment à Disco 2000, F.E.E.L.I.N.G.C.A.L.L.E.D.L.O.V.E, Underwear, Bar Italia, Help the Aged, This is Hardcore ou Sunrise, le documentaire de Florian Habicht explore les coulisses de ce concert au goût si particulier et prend le pouls de la ville, des fans, des membres du groupe. Car l’esthétique, les paroles ou les postures du groupe prennent d’autant plus de sens et de valeur dans le contexte et les paysages ouvriers de Sheffield. Depuis les halles, où le jeune Jarvis travaillait comme poissonnier le samedi, jusqu’au kiosque du marchand de journaux, en passant par une chorale, un groupe de majorettes, ou une maison de retraites, toute la ville vibre au rythme des chansons du groupe. Chacun en livre son interprétation ou sa propre version, avec justesse, humour et bienveillance, tandis que la tension monte autour de la salle de concert où patientent les fans, et que le groupe trépigne avant de monter sur scène.

Le batteur Nick Banks entraîne désormais l’équipe de foot où joue sa fille

Jarvis y apparaît toujours aussi flegmatique et pince-sans-rire, évoquant avec malice son exhibitionnisme, ses doutes existentiels, ou sa tendance à parler de sexe dans quasiment chacune de ses chansons. Hilare, il déploie devant nous sa trousse à médicaments, et tente de relativiser (ou de tenir à distance) la vague de succès qui a porté le groupe aux nues et l’aura finalement désintégré. Car on comprend bien que la mentalité des membres de Pulp ne colle pas forcément aux stéréotypes et aux exigences du showbiz. Le guitariste Mark Webber rappelle son dégoût de jouer tous les soirs dans des salles combles à la fin des années 1990. La claviériste Candida Doyle évoque certes son désir de faire partie d’un groupe de rock dans ses jeunes années, mais ne cache pas non plus l’arthrite qui la ronge ou son angoisse à remonter sur scène aujourd’hui. Le batteur Nick Banks, entraîneur de l’équipe de foot de sa fille, semble désormais bien plus à l’aise dans sa vie de monsieur tout le monde, en survêtement, plutôt que d’écumer les scènes mondiales.

Pulp, a film about life, death & supermarkets ne se contente donc pas de jouer sur le registre de la mélancolie en nous resservant les hymnes pop de notre adolescence. Le documentaire ne verse donc pas dans un registre mielleux en célébrant sans fin la gloire du groupe. Les membres de Pulp démystifient plutôt cette course à la médiatisation et au succès planétaire que tout musicien chercherait a priori. Ce que pointe le documentaire, ce sont bien plutôt l’ambiguïté et l’état de crise morale que provoque la célébrité fulgurante du showbiz. Et avec toute la belle simplicité et la sagesse populaire dont font preuve les habitants de Sheffield, on ne peut que garder les pieds sur terre, toutefois prêts à nous laisser bercer par quelques notes de musique magiques le temps d’un concert.

François Salmeron

Pulp, a film about life, death & supermarkets
Film britannique réalisé par Florian Habicht
Avec Jarvis Cocker, Nick Banks, Candida Doyle, Steve Mackey, Mark Webber
Genre : Documentaire musical
Durée : 1h30min
Date de sortie : 1er avril 2015