Mathias Delplanque – Drachen

Malaxant le son, le triturant, Mathias Delplanque propose avec Drachen, édité dans l’excellente collection Mind Travels du label Ici D’Ailleurs son album le plus accessible à ce jour.

mathias delplanque photo

Il y a la musique expérimentale et il y a ceux qui expérimentent avec la musique. Il y a une musique savante, ombrageuse, difficile pour ne pas dire hermétique et il y a les ludiques, les joueurs. Changez pour un instant votre angle d’appréhension des musiques seulement instrumentales, détournez votre regard de cette évidente impression d’élitisme que vous ressentez quand on vous parle de Steve Reich, de John Cage avec un G, de Gorecki, de Pärt, Varese, Messiaen et autres Penderecki… Bien sûr leurs terrains de jeux sont très différents mais ils ont en commun cette envie de l’enfant de découvrir par le jeu.
Prenez le nantais Mathias Delplanque. Quand vous discutez avec lui, tout de suite au détour d’une phrase, il n’hésite pas à vous dire : « Je ne suis vraiment pas un musicien expérimental. Un musicien travaille un seul et même sillon, il conceptualise. Moi, je joue avec les matières ». C’est vrai qu’à l’écoute de ce qu’il a pu faire à travers tous ses alias, on peut largement comprendre son raisonnement.  A l’instar de Tim Hecker (dont le nantais adore le travail), il construit des cathédrales de sons, des édifices à la fois branlants et bien plantés dans leurs fondations.

Drachen, son nouvel album, ne déroge pas à cette règle. Il y a cette minutie patiente à empiler les diverses angoisses sonores pour constituer un mirage de chaos organisé. Chez lui, l’humanité n’est qu’interférences. Le cataclysme n’est jamais loin ou alors il a déjà tout détruit. Ne restent que çà et là des décombres encore fumantes. On y sent encore la présence persistance de ce que nous fûmes. Arythmique puis en dedans, Drachen est sombre comme un Jacazsek qui aurait oublié le mysticisme. Drachen  joue avec le vide et le pulsionnel, un martial qui annihile la ferveur du combat.
Mathias Delplanque n’en finit pas de salir, de cabosser le son des plages qui constituent Drachen comme pour leur donner vie. Comme une catharsis forcément douloureuse.
On connaît l’amour de l’équipe du label Ici D’ailleurs pour Coil. Rappelez-vous This Immortal Coil, cet hommage plutôt sublime  à la bande à John Balance. Il n’y a donc rien de surprenant à retrouver Mathias Delplanque au sein de cette sous-collection de la maison de disques de Nancy. Cette collection Mind Travels comme une proposition encore plus osée d’aller à la découverte d’artistes à la marge de la musique expérimentale, de l’ambient. Rappelez-vous de cette rencontre entre Geins’t Naït et Laurent Petitgand, Aidan Baker, le Manyfingers de Chris Cole ou encore Stefan Wesolowski. Ce sont des propositions qui demanderont une véritable participation de la part de l’auditeur mais ce ne sont jamais des performances juste obscures pour être obscures.

Drachen est bien plus que cela. C’est une œuvre à la fois urbaine et hors zone, comme un cheminement désespéré à travers les rues d’une ville abandonnée et irradiée. On cherche partout des traces rassurantes mais la quiétude n’est pas à aller chercher dans les détails. On y trouvera plus les multitudes de craquements d’une charpente qui pourrit, la nuée de mouches au-dessus de la charogne, le long dérapage ralenti. Drachen est éprouvant comme une plaie que l’on ouvre, tortueux comme le plaisir que l’on prend à voir se répandre les fluides.
Pourtant, paradoxalement, c’est organique et bien vivant. C’est vivant comme la perte de conscience de ce qui entoure pour mieux distinguer le prioritaire. Cela vient irriter le paroxysme des idées que l’on préfèrerait parfois laisser bien au chaud à l’arrière, au fond de nos placards, à prendre la poussière. Bien sûr, comme toutes les épreuves, Drachen contient en lui-même l’exigence et la réponse à cette exigence, comme un miroir que l’on ne peut détourner.

Greg Bod

Mathias Delplanque – Drachen
Label : Ici D’Ailleurs
Sortie le : 11 décembre 2015