Je paie – Emmanuel Adely

Regarder dix années de sa vie par le prisme de ses achats. Parce que de plus en plus, la société n’est que consommation. J’achète donc je suis ! À la sauce Adely, c’est bon.


© François Flohic

Pendant dix années, Emmanuel Adely tient son journal de bord. Carnet intime de ses soirées littéraires ? Récit de ses résidences d’écriture ou des affres de la création ? Que nenni ! Emmanuel Adely nous raconte son quotidien d’écrivain – ou plutôt de citoyen – à travers ses achats. Rien de plus. Rien de moins. Et cela donne une très belle idée pour un très intéressant récit au long cours. Et comme disait ma grand-mère : « T’en as pour ton argent ! » Le livre est un pavé de 784 pages. Qui se déguste saignant !

Parce que ne croyez pas qu’Emmanuel Adely a juste trouvé ici un concept innovant qui nous fait dire à chaque page : « Mais pourquoi je n’ai pas eu cette idée ? » Bah… peut-être bien parce que le monsieur est un écrivain créatif. Et que si l’auteur contemporain n’a pas souvent assez de pétrole pour mettre dans sa lampe l’hiver, il a en revanche des idées lumineuses. Ne faire le récit de sa vie qu’à travers ce que l’on achète. Quelle idée de génie ! On remarquera alors que l’on achète très souvent les mêmes choses chaque semaine. Ici, cigarettes et courses alimentaires au Monop’ quand il est à Paris, au U Express de La Roche-sur-Yon quand il est en résidence dans cette ville vendéenne de moins 60000 habitants. Et au détour d’une phrase, l’air de rien, on en apprend bien plus sur son « travail » d’écrivain en résidence que dans n’importe quelle thèse littéraire. Adely sillonne la campagne vendéenne à la rencontre d’écoliers, de lecteurs… Un déjeuner payé par-ci et un café noté par-là sont comme autant de petits cailloux sur le chemin du petit poucet Adely !

« Je paie » aurait pu s’appeler « J’achète donc je suis ». En effet, les jours où Emmanuel Adely n’achète rien, il ne passe donc rien dans le journal. Mais n’est-ce pas tellement juste ? Et n’est-ce pas le véritable sens de cet ouvrage ? Si je ne consomme pas, la société m’exècre. Je ne suis rien. Je ne sers à rien.  Et quelle horreur, je n’aurais donc rien à poster sur mon statut Facebook pour me sentir exister. Rien à tweeter pour me gausser. Rien à photographier via mon Instagram pour faire croire aux autres que ma vie est si merveilleuse À l’instar de ces #homesweethome #papeterie #papierpeint. Hashtag je vis dans une publicité pour… L’Idéal parce que je le mérite bien, aurait dit l’ami Frédéric B !

Ce livre fait un bien fou, sachez-le ! Tant il met le doigt sur les inepties de ce monde moderne qui veut nous faire acheter tout et n’importe quoi. Surtout ce qui est dernier cri. Dernière génération. La révolution est en marche quoi ! Non mais j’hallucine ?! Ma grand-mère justement, la révolution, elle sait ce que c’est. Et elle sait que ce n’est pas à confondre avec la modernité. Elle qui a connu la vie avec et sans télévision. La révolution, c’était plutôt les pavés dans la gueule des CRS en 1968. Même si elle ne cautionne pas forcément, elle voit bien les effets que cela a eu sur son indépendance, elle, femme des années 40 ! La révolution ce n’est pas devenir un mouton qui passe ses dimanches dans les centres commerciaux à acheter. Encore acheter. Payer. Surpayer. Pour enfin se sentir exister. « Mais dans quel monde on vit ? », aurait dit ma grand-mère !  « Un monde de merde qui me donne le blues, mamie », lui aurais-je rétorqué ! Heureusement, y’a Adely !

Delphine Blanchard

Je paie
Emmanuel Adely
Éditions Inculte
784 pages, 23,90 €
Parution :  septembre 2016