Interview à l’occasion des 10 ans du label Chez.Kito.Kat Records

10 ans d’activité, de production, de passion et de musique électronique en tout genre. Interview XL en compagnie de Samuel et Christophe pour parler du passé, du présent et du futur de Chez.Kito.Kat.

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Chez.Kito.Kat Records, le label fondé par Salima Bouaraour, Christophe Biache et Samuel  Ricciuti célèbre ses dix ans d’existence en cette fin d’année 2016. Pour fêter l’événement, le label  publie une double compilation  regroupant  l’ensemble des artistes qui ont contribué à son essor tout au long de cette décennie. On a profité de l’événement pour aller poser quelques questions à Christophe et Samuel, histoire de remonter le temps et de parler de cette belle aventure musicale qu’est Chez.Kito.Kat Records.

Comme est née l’aventure Chez.Kito.Kat Records ?

Christophe : Avec Samuel on s’est rencontré par hasard lors d’une soirée où nous jouions avec nos projets respectifs, il m’a parlé de sa structure qu’il venait de monter qui était à la base plus orientée sur l’organisation de concerts. On a commencé à faire de la musique ensemble et rapidement l’idée et l’envie de monter un véritable label s’est fait ressentir.

Samuel : Nous avons commencé à organiser des concerts à Metz vers 2004/2005, ce qui nous a fait rencontrer un grand nombre de groupes et en juin 2006 nous avons publié un premier disque de Dog Bless You (mon projet personnel), très petite série, à la main, sans étiquette. C’est un peu là que nous avons décidé de créer le label, suite à cette publication. La première référence officielle est une compilation, Kito Sounds #1 qui réunissait une quinzaine de groupes venus d’un peu partout dans le monde qu’on avait booké à Metz.  Ça part d’un rêve de gosse, que ce soit Christophe ou moi, nous avons toujours baigné au milieu des disques depuis très jeunes. J’en ai fait mon sujet de recherche pour mon master et mon doctorat. Nos maisons sont remplies de disques partout. Classé par label. C’est une vraie passion. Et nous avons toujours été fan des étiquettes et ce que ces étiquettes représentaient.

D’où vient ce nom étrange ?

Samuel : À l’époque où l’on organisait des concerts, on accueillait les musiciens après les show à la maison. Notre chat s’appelait Kito. C’est assez con en fait, mais les musiciens venaient dormir chez kito le cat…d’où le nom curieux. J’avoue que nous ne sommes pas des esprits très imaginatifs quand il est question de donner des noms, que ce soit à nos groupes de musiques, nos morceaux et ici pour le label. Des fois je me pose la question de la crédibilité que nous donnent les observateurs extérieurs quand ils voient le nom du label.

Y avait-il à la base un modèle en particulier en matière de label ?

Samuel : Comme je le dis plus haut, j’ai effectué mes recherches universitaires sur les labels indépendants. Une analyse comparative sur les petits labels indépendants entre l’Europe et l’Amérique du nord. À cette époque j’ai pu travailler avec les types de Constellation Records à Montréal et pas mal de petits labels en grandes régions et au Québec. Ce qui m’attirait le plus chez tous ces labels, ce qui m’a fait perdre mon objectivité de « chercheur » d’ailleurs, c’était ceux qui faisaient des petites séries à la main, des pochettes manufacturées, numérotées, sérigraphiées etc. Pour moi c’était évident de créer quelque chose sur ce modèle. Chaque objet unique. Allier le côté sonore original à un objet qui sorte du lot, un objet que tu prennes plaisir à avoir dans les mains.

Mis à part le pressage des disques qui est pro, les packages des CD sont entièrement fait à la main, un peu comme ce que j’avais pu voir à l’époque dans les ateliers Constellation Records ou chez les copains québecois de Chat Blancs Records, ThisQuietArmy records ou les luxembourgeois SoundsFromNowhere.
Concernant l’esthétique, s’il y avait un label qu’on mettrait au dessus de tout au niveau des références, je pense que Christophe est d’accord avec moi, c’est Kranky Records pour ce qu’ils ont apporté dans l’éclectisme de leurs productions, la qualité et la longévité. Mais franchement la liste de nos influences est très longue entre les labels de musiques électroniques nord européens et les labels un peu plus «indie rock » nord américains.

Christophe : Je rejoins Samuel concernant l’esthétique, au début de l’aventure nous écoutions beaucoup d’artistes du label Kranky et effectivement cela a été un modèle pour nous. Sam m’a parlé de son sujet de mémoire et des modèles développés en Amérique du Nord. Le côté « militantisme » m’a beaucoup séduit ainsi que de faire de chaque disque un objet unique. Cette démarche artisanale a toujours été le fer de lance du label.

Christophe Biache et Samuel Ricciuti
Christophe et Samuel bien concentrés sur les machines sous l’entité Komparce.

Y a t-il une couleur musicale, un ton ou une philosophie qui s’est dessiné au fil des années Chez.Kito.Kat Records ?

Christophe : En plus de la qualité musicale, nous avons toujours été réceptif à la personnalité des artistes du label, c’est un véritable collectif où chacun amène ses compétences, ses idées, je pense que si nous n’avions plus cette indépendance nous perdrions cette identité.

Samuel : Benoit, toi qui connais notre catalogue, tu sais à quel point on a pu produire des choses pas mal différentes esthétiquement parlant, de l’ambiant à la house filtrée en passant par du shoegaze, du math rock, ou des choses un peu plus Pop ou downtempo. On a un affect particulier pour les musiques électroniques minimales et expérimentales, c’est certain. Mais on ne se donne pas vraiment de limites esthétiquement parlant, à partir du moment où l’on apprécie les productions à l’unanimité. Par contre nous tenons à une chose particulièrement, c’est à notre indépendance. Nous avons toujours refusé de passer par des subventions ou autres aides publiques, sacem etc. C’est un des enseignements que j’avais tiré de mes recherches à l’époque, et une confirmation après plus de 4 ans de vie en Amérique du Nord. Les labels nord américains ne connaissent pas les subventions. Ça ne les empêche pas de produire des disques de qualité. Et combien j’ai vu autour de moi de groupes ou labels subventionnés qui perdaient toute urgence et force de création. Je suis personnellement contre toute forme d’aide financière publique ou d’aide à la scène dans la musique. Je trouve que la création en perd de sa spontanéité, de sa qualité. Je préfère manger des pâtes au beurre pendant des jours pour payer le pressage d’un disque plutôt que de faire un dossier de sub ou monter sur une scène pour qu`on m`apprenne à comment me tenir.

Quelles sont les sorties dont vous êtes le plus fier ?

Samuel : Je suis personnellement fier de toutes nos sorties. Sans exceptions. Il y a bien eu quelques disques produits qui ont eu plus de succès, ou d’autres qui ont eu moins d’impact ou qui représentaient un peu moins nos affects musicaux. En 10 ans tu fais quelques erreurs c’est certain. Mais je peux dire que je ne regrette rien et suis vraiment fier de tout ce parcours. J’avoue avoir eu une sensation particulière lors de la publication de l’album de FiliaMotsa, notre premier pressage vinyle, quand j’ai vu la première fois notre logo sur la rondelle centrale et que j’ai pris la première fois dans la main le test press. Comme une première naissance.

Christophe : Je me souviens de cette émotion lors de notre première sortie vinyle, un peu comme un rêve de gosse. C’est difficile de distinguer une sortie plutôt qu’une autre, chacun de nos disques correspond à une histoire, une rencontre, des échanges. Je suis surtout fier d’avoir à notre actif plus d’une cinquantaine de disques.

Quel pourrait être l’avenir de Chez.Kito.Kat ? Pensez-vous faire évoluer certaines choses, aller vers de nouvelles directions ?

Samuel : Je n’imagine pas mon futur sans produire de disques. Ça c’est ma seule certitude actuellement. Nous travaillons tous les trois à côté du label. Ce n’est pas toujours évident, ça fait de longues journées. Mais pour moi c’est un moteur au quotidien. Chaque matin je me réveille en pensant CKK, et je me couche en pensant CKK.

Nous avons quelques productions prévues pour début 2017, l’album des nouveaux venus de Puce Moment, un nouvel EP pour Millimetrik. Et pas mal de nos groupes travaillent sur leurs nouveaux opus, Daily Vacation, Synthesis, No Drum No Moog, Kuston Beater. Je pense que l’année 2017 sera pas mal riche en publications.

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Animaux primitifs

C’est certains que dans la production musicale actuellement les labels n’ont plus les mêmes raisons d’être, les mêmes influences ou le même rôle qu’il y a une quinzaine d’années. Les groupes peuvent se débrouiller en auto prod, ils ont souvent beaucoup plus besoin de promo manager et de tourneurs que de label tant le disque est devenu une chose rare. Un groupe peu vivre sans disque. Mais pas sans promo. Bien que la qualité de nos productions n’ait cessé de progresser (j’essaie d’être objectif), nous vendons moins de disques qu’il y a 5 ans… On doit s’adapter. Sans jamais oublier pourquoi nous faisons cela : produire des objets sonores de qualité, partager notre amour de la musique et faire découvrir tous ces artistes.

Christophe : Dans l’avenir j’aimerai beaucoup que nous puissions avoir plus de productions en vinyles, surtout pour des artistes plus orientés musique électronique. On a cette chance d’avoir sur le label des artistes ayant vraiment une identité sonore qui méritent d’être diffusés. Après l’aspect financier reste bien évidemment au cœur du label. Nous n’avons jamais eu vocation à générer le maximum de profits. On recherche juste à équilibrer notre budget et à faire en sorte de pouvoir produire de nouveaux projets.

Samuel, tu es actuellement exilé en Louisiane où tu es enseignant là-bas. Comme se passe l’aventure ?

Samuel : Nous sommes à Baton Rouge depuis bientôt 3 ans avec ma femme Salima. L’aventure se passe très bien ! C’est une aventure assez folle que nous vivons là, nous ne connaissions pas du tout la Louisiane avant d’arriver ici, nous en sommes tombés amoureux. C’est un peu chez nous maintenant. Ce n’est pas toujours facile la vie aux USA, le système social est franchement pourri, la bouffe est atroce, les inégalités sont flagrantes (bien visible en Louisiane) et je suis pas un grand fan du nouveau patron fraichement élu, c’est un monde à part, mais on vit cette expérience à 100%. Et nous avons la chance de travailler tous les deux, en plus de nos jobs d’enseignant, chaque samedi à l’alliance française de New Orleans. Nous passons tous nos week-ends dans la ville la plus folle des USA. Cette ville, cette région, c’est particulier. Pas besoin d’expliquer à quel point pour un musicien de vivre dans cette région est une expérience spéciale. J’ai toujours été fan de musiques « noires », Jazz, Hip Hop, Soul, je suis un peu au paradis ici, la musique est partout, tout le temps. Des fois les musiques électroniques me manquent quand même, nous allons de temps en temps à Austin pour voir des groupes un peu moins « roots » quand nous sommes en manque de musique plus actuelle car la Louisiane est vraiment fidèle à ses clichés, Jazz, Blues, Country, Zideco. That’s all… Je pourrais te parler des heures de cette expérience, mais je pense que là n’est pas le propos.

chez kitokat du cousu main
ChezKitoKat, c’est du cousu main et tout se fait en famille.

Que ce que ça a changé pour le label, concrètement, ce déménagement ?

Samuel : On a transféré les ateliers chez Christophe. Il gère la fabrication des disques depuis 2014 avec sa femme Pauline qui est relieur de profession. Il s’occupe aussi de tout ce qui est envois presse et promo, gestion des stocks, gestion des releases party sur place, etc.  Pour tout le reste, c’est toujours pareil vu que pas mal du travail se fait toujours via Internet, on se partage les tâches.

Nous ne savons pas combien de temps encore nous allons rester à Baton Rouge, nos jobs sont des contrats à durée déterminée. Mais on a maintenant notre réseau ici. On connait pas mal de musiciens, tous les lieux important de la scène Underground. J’espère organiser des concerts à Baton Rouge d’ici peu et pourquoi pas produire des artistes locaux, même si franchement les musiques électroniques sont le parent pauvre de la riche scène musicale locale. Je reçois pas mal de propositions de groupes du sud des USA, mais rien ne correspond pas vraiment à ce que nous produisons. On verra avec le temps.

Ce qui a changé récemment pour le label, c’est d’avoir des distributeurs pour certaines de nos productions, essentiellement les disques produit en vinyle via clearspot (Pays-Bas). Ça n’a rien à voir avec notre expatriation aux USA, mais voir le disque de DET90 disponible (et vendu) partout dans le monde grâce à Lobster Distribution, c’est une chose super positive pour le reste du catalogue. Donc on espère continuer sur cette dynamique, que ce soit en Amérique du nord ou en Europe via nos réseaux respectifs.

Quoi qu’il en soit, cette expérience m’a appris une chose très importante. Tous les artistes indés te diront que les USA c’est le pire endroit du monde pour tourner et jouer, pas de cachet, pas de bouffe pour les zicos, même pas un verre d’eau, les gars doivent se payer leurs bières, se démerder pour se loger. Tourner en France c’est le grand luxe comparé à ça. Mais en même temps cette précarité amène une qualité exceptionnelle dans les productions des musiciens locaux, il faut vraiment être le meilleur pour sortir du lot, et pas seulement être pote avec le programmateur de la salle de musique actuelle locale pour jouer. Chaque concert que je vois ici, c’est une baffe derrière les oreilles que je prends. Je reviens d’Austin, j’ai vu une quinzaine de groupes en 3 jours, c’était la folie totale. Il faut arrêter les conneries en France, arrêter les accompagnements d’artistes, les subventions à foison, la scène française a besoin de cette précarité pour revenir à l’essentiel, LA MUSIQUE, la création et son urgence.

Christophe : On travaille forcément à distance mais on arrive à gérer le quotidien du label même à des milliers de kilomètres. Salima et Samuel ont déjà vécu au Canada pendant un an et nous avions déjà pris l’habitude de travailler de cette manière. C’est évidemment frustrant par moment mais on a appris à s’adapter.

En plus d’être à la tête du label, Christophe et toi, vous produisez également de la musique, pouvez-vous dire deux mots de vos projets et de vos activités musicales actuelles et/ou à venir ?

Christophe : En ce qui me concerne j’ai un peu mis ces derniers temps mon projet solo (mr bios) entre parenthèses. Je travaille sur de nouvelles productions mais dans un esprit différent de ce que je faisais auparavant, je suis très influencé par la scène électronique allemande et j’aimerai que ce nouveau projet puisse aboutir en 2017, certainement sous un autre nom. Parallèlement je travaille actuellement en collaboration avec plusieurs artistes, Dr Géo avec notre projet « Animaux Primitifs » qui est basé sur des improvisations au synthé modulaire et accompagné par des vidéos de Bertrand Ricciuti, aussi avec Arbee un producteur canadien originaire de Québec et je participe à quelques morceaux sur le prochain album de Samuel.

Samuel : Le projet Dog Bless You est un peu en stand bye, j’ai un grand nombre de maquettes dans l’idée de ressortir un disque de featuring avec des musiciens rencontrés ici et les amis du label. Mais j’avoue qu’à chaque fois que j’allume mes machines, je passe mon temps à « jamer » seul ou avec des potes, mais impossibles de finaliser ces tracks… on verra. On m’a proposé des lives ici, ça va peut-être m’obliger à proposer un produit fini qui ne date pas de 5 ans. Le problème c`est que je prends plus de plaisir à produire et distribuer les disques des autres qu`à produire mon son actuellement…

Benzine Magazine – décembre 2016

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chezkitokat : les fondateurs
Samuel Ricciuti, Salima Bouaraour et Christophe Biache