Mono – Requiem for Hell

Le Post-Rock vous a un jour passionné, mais aujourd’hui il vous ennuie comme certains mauvais disques de blues. Vous y trouvez toujours les mêmes recettes prévisibles. Mono, avec leur 9e album, Requiem For Hell devrait venir secouer vos convictions.

Mono japon bandcamp image

Cela fait bien longtemps que l’on n’a pas vu émerger un disque de Post-Rock passionnant  de bout en bout, de sa première en général longue plage à la dernière. Malheureusement, on y retrouve souvent les mêmes éléments un poil trop prévisibles : La lente construction, les instruments qui s’amoncellent les uns sur les autres, l’apothéose en déflagration sonore et puis on passe au morceau suivant en pilote automatique tant pour le compositeur que pour l’auditeur qui n’oubliera pas de zapper régulièrement en quête vaine de l’étincelle que l’on trouvait dans les disques de Bark Psychosis, de Tortoise ou encore chez Godspeed You! Black Emperor. On la trouve toujours chez Mono cette étincelle, pourtant, on y retrouve peu ou prou les mêmes « défauts » inhérents au genre mais car il y a toujours un mais ce qui permet aux japonais de l’emporter c’est qu’ils sont justement japonais.

Mono - Requiem for Hell cover album 2016 - Temporary Residence LimitedIndubitablement, sans tomber dans des pièges ethnocentristes, on peut dire à coup sûr que les japonais ont cette préscience innée du drame qui se distille tant dans leurs musiques que dans leurs films. Sans doute, cela a-t-il à voir avec cette nation qui est la seule à avoir connu le cataclysme nucléaire, on retrouve en filigrane dans l’art japonais la peur du jugement dernier bien plus ancrée que dans la musique occidentale.

On retrouve dans leur musique comme dans celles de nombres de leur voisins insulaires un goût pour le lyrisme, pour une théâtralité presqu’exacerbée. Depuis leur premier disque, on les compare souvent à Mogwai, souvent à leur désavantage. Pourtant, si l’on dépasse les murs du son des guitares, on constate vite que les univers sont bien différents.

L’univers de Mono, comme chez nombre de créateurs japonais, a à voir avec le chaos, l’annonce d’un Armageddon. C’est un peu comme si la musique de Mono venait habiller les images plombées  d’un Kiyoshi Kurosawa ou de Kore Eda. On est quelque part entre la contemplation de la chute d’une feuille d’un cerisier en fleur et l’irradiation du champignon sur Hiroshima.

Requiem For Hell, leur neuvième album, est sans doute leur disque le plus violent à ce jour, comme un exutoire face à l’angoisse qui monte, la crainte de nouveaux tsunamis, de Fukushima qui se répéteraient. Pourtant, jamais la musique de Mono n’est plombée par le pessimisme, il s’en dégage au contraire une envie de vivre, une lumière parfois au centre, parfois tapie à l’arrière. De la lente progression martiale de Death In Rebirth qui ramène les quatre aux mêmes aspérités  rencontrées sur le chef d’œuvre Hymns To The Immortal Wind à l’apaisé Stellar comme un fac similé d’un instrumental de Sigur Ros, c’est à une minutieuse exploration de l’enfer que nous convie les japonais. Une exploration pour mettre à mort cet enfer, pour le faire s’éteindre, se dissoudre. Ce ne sera pas la longue pièce de presque 18 minutes qui donne son nom à l’album qui viendra contredire notre certitude. On assiste ici à un combat à la fois sensuel et spirituel avec le vide et les craintes. L’enfer nous met à mal, laisse quelques traces en nous, se débat et attaque à nouveau. Il y a ici quelque chose qui relève de l’épique.

Mono joue avec bien des codes, ceux du Post-Rock, ceux du Metal également mais si l’on s’arrête un peu, on se rend vite compte que ces cinq titres sont comme autant de mouvements, de ceux que l’on trouve dans la musique classique.  Chaque disque de Mono doit être pris dans son entité complète et entière pour en saisir toute la portée. Ici encore accompagné de Steve Albini, Mono livre une œuvre magistrale et suffisamment ouverte pour forcer l’analyse comme Ely’s Heartbeat qui hésite jusqu’à son terme entre légèreté et lourdeur ou ce long effeuillage de notre sensibilité et de nos émotions qu’est The Last Scene. C’est beau, divin comme du Ryuichi Sakamoto du temps d’un Thé au Sahara.

Cela fait bien longtemps que l’on sent chez Mono ce goût pour les sons provenant du Metal comme en témoignaient principalement les captations live du groupe mais Requiem for hell convoque fort à propos ces territoires-là. On pensera parfois à Neurosis, à Envy, à Pelican pour cette propension à unir harmonie et bruits.
En nous faisant cheminer dans les cercles de l’enfer, Mono signe un de ses meilleurs albums et également le messager pertinent, l’observateur concret et objectif d’un monde en décomposition mais encore beau.

Greg Bod

Mono – Requiem for Hell
Label : Temporary Residence Limited
Sortie le 14 octobre 2016