L’art d’être à la fois surréaliste et tribal de l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp

Qui n’a pas vu la Fanfare Punk Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp sur scène ne peut avoir conscience de toute la versatilité créative et libertaire de cette bande-là.

Loin, bien loin des clichés d’une scène Punk française qui se prend un peu les pieds dans le tapis entre références naphtalinées à Bérurier Noir et au Rock alternatif des années 80 comme les affreux Ramoneurs de Menhirs, d’autres ont bien compris que la vérité était ailleurs. Ils sont quelques uns comme Filiamotsa, L’étrangleuse ou encore l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp à avoir compris l’essentiel. Etre Punk c’est avant tout une attitude bien plus qu’un son. Savoir être radical et libre à chaque instant.

Les Punks hurlaient à la destruction avec leur Destroy rageur et un peu premier degré, sans réelle réflexion.Le temps a passé depuis ces temps originels de 1976. L’Orchestre tout puissant Marcel Duchamp a conservé de cet héritage une bien réelle volonté de destruction, celle des limites entre les genres musicaux. Sur Sauvage Formes, on entend des aspérités qui doivent autant à la musique Gnawa qu’au blues malien ou à une certaine Pop nubienne. De Blow en ouverture qui rappelle le meilleur des Dexy’s Midnight Runners qui serait parti en vrille du côté de l’Afrique à Sous Mes yeux, collision entre Brigitte Fontaine et Flower Pop, Comme le disque précédent, Sauvage Formes a été produit par John Parish qui aide ces iconoclastes à donner un peu de cohérence à leurs élucubrations bruitisto-régressives. Across The Moor mêle calypso, rythmes africains et une voix atonale pour un résultat qui rendra fou tout géographe en goût de points cardinaux bien respectés.

Un ostinato hérité des folklores et ce violon, instrument par excellence de l’Europe

On reconnaît bien dans cette bande-là des gens qui ont compris toute la pertinence de la démarche de G.W Sok qui, autant quand il était le leader de The Ex qu’aujourd’hui en solo, cherche dans l’énergie du rythme un lien à l’universalité. C’est peut-être simplement cela que chantent les mélodies ensoleillées et libres de l’Orchestre. Bêtes Féroces crée par exemple une connexion entre Electro avec cet ostinato hérité des folklores et ce violon, instrument par excellence de l’Europe. Leur musique est alors sans âge.

Ils chantent le refus de la servitude, ils disent le collectif comme ils l’affirment clairement sur scène. On pensera parfois à un Eden Abbhez qui aurait piqué des lignes d’accords à Fela Kuti ou les Ramones mais n’aurait pas oublié tout l’école européenne classique. Pourtant cette musique éminemment dansante pourra paraître presqu’anecdotique à une oreille trop empressée. Car en effet, même si la musique de l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp a une vertu physique, une espèce d’extériorisation, on ne perdra pas non plus de vue son côté filandreux et lunatique.

Lost & Found porte bien son nom avec sa ligne mélodique évidente mais ses structures qui se prêtent à une fugue involontaire au fur et à mesure de nos prévisions. Malgré son titre peu engageant, Sauvage Formes est peut-être l’album le plus immédiatement évident du groupe, sans doute que les chausse-trappes sont ici plus cachées qu’habituellement, les minuscules idées de production volontairement mises en arrière pour laisser la transparence s’exprimer. Ce qui sort encore une fois de ce disque, c’est cette évidence du rapport au collectif, le très dénudé Danser soi-même n’existant par exemple justement que dans son rapport à la dilatation de l’individu dans le groupe. Se dégage de Sauvage Formes cette impression de chorale, d’enfants qui découvrent tel ou tel son et le triturent pour en extirper les mots que l’on ne sait pas encore dire.

L’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp convoque l’énergie d’un Rock Européen , lui insuffle le primitivisme du vieux continent africain et comme dans un système de vase communiquant, chaque ingrédient en profite pour le meilleur et pour le pire. Leur musique en devient apatride et n’appartient pas à un mais à tous.

Greg Bod

Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp – Sauvage Formes
Label : Bongo Joe Records
Sortie le 06 avril 2018