Franz Hessel était l’époux de la maîtresse du romancier Henri-Pierre Roché qui a tiré de cet idylle le célèbre roman « Jules et Jim » en 1953. Mais en 1927, Franz Hessel avait déjà écrit un roman inspiré par les amours de sa femme avec le romancier… en 2017, il est enfin traduit en français.
Franz Hessel fait partie de ces écrivains du début du XX° siècle qu’on a un peu oublié, cette édition d’un roman resté non traduit pendant près de neuf décennies devrait attirer sur lui un peu plus de lumière et vers son œuvre un peu plus de lecteurs.
Beaucoup, comme moi avant de lire ce texte, ont peut-être aussi oublié qu’il est le père du célèbre « Indigné », Stéphane Hessel. Il est peut-être plus connu, des cinéphiles notamment, pour avoir inspiré le roman d’Henri-Pierre Roché Jules et Jim qui a donné matière au célèbre film du même titre.
Ce court roman écrit en 1927 au moment où sa femme vient s’installer à Paris pour courtiser plus aisément le romancier qui racontera leur histoire dans le roman devenu célèbre, surtout après son adaptation cinématographique, seulement en 1953. Franz Hessel a élaboré le projet de Berlin secret à Paris où il s’était installé pour être plus près de sa femme plus attirée par le romancier français que par lui. Mais il a rédigé son texte à Berlin où il était retourné par amour de cette ville qu’il choie particulièrement, elle est l’un des autres personnages principaux de ce roman. Il la décrit avec minutie, en vante les coins et les recoins, les passages et les facettes méconnus, toujours avec une réelle tendresse et une vraie fascination. Il la parcourt surtout la nuit et raconte ses promenades avec délectation.
Berlin secret, c’est déjà un peu l’histoire de Jules et Jim, l’histoire d’une femme arrivant vers la maturité qui hésite entre son vieux mari et l’enfant qu’il lui a donné, le cocon familial et sa douce sécurité, et l’aventure exaltante avec un beau et jeune hobereau terrien qui lui propose une vie beaucoup plus passionnante agrémentée de voyages et de séjours dans les pays du Sud. Sa femme serait la belle Karola, le beau jeune homme serait le romancier français et lui serait le vieil et sage époux qui prodigue les conseils les plus sages pour préserver son ménage. Un roman simple, le trio habituel qui se débat entre plaisir et devoir, entre amour et famille.
Outre le fait que ce roman préfigure un grand succès cinématographique, il faut retenir avant tout l’œuvre littéraire. En effet, Franz Hessel pourrait figurer parmi les auteurs classiques allemands, son écriture d’une grande élégance, est allégée de la pesanteur emphatique qui encombre bien des œuvres romantiques de la même période. Sa prose est plus légère, plus alerte, même si l’auteur de la post face, Mandred Flügge, insiste sur le poids des mots qu’Hessel sait donner à ceux-ci en fonction des diverses situations qu’il décrit. Il évoque lui-même dans ce texte l’importance du poids des mots dans la narration que les personnages font des événements. La lecture de ce texte est aussi l’occasion d’apprécier la grande culture classique de l’auteur, il se réfère très souvent à la Grèce antique à ses héros, à sa culture, à sa civilisation. Et si on considère que son intrigue se résout sur une journée plus une soirée, qu’elle se déroule entièrement dans la ville de Berlin et qu’elle ne consiste qu’en le choix que l’héroïne doit faire entre son mari et son amant, on pourrait admettre que la règle des trois unités est quasiment respectée et que ce texte reflète un certain classicisme même si le bel aristocrate semble issu d’un texte romantique germanique.
Ce roman est aussi une page d’histoire, il témoigne de la déconfiture de la noblesse prussienne qui a perdu sa fortune au profit d’une nouvelle bourgeoisie d’affaires tirant les ficelles de la crise qui secoue l’Allemagne dans les années vingt, pour se faire une place au sommet de la société et prendre le pouvoir. Les communistes passent dans le roman comme les distributeurs de tracts fascistes. Les nobles semblent résigner en constatant que « Notre pauvreté est notre seul vice ».
Un livre à lire et à méditer, il annonce des choses plus lourdes que les tribulations de la belle Karola, des choses qui pourront-être dites quand l’amant de l’épouse de l’auteur décidera de raconter leur histoire.
Denis Billamboz
Berlin secret (Heimliches Berlin)
Roman de Franz Hessel
Traduit de l’allemand par Danielle Risterucci-Roudnicky
préface de Walter Benjamin
postface de Manfred Flügge
Editeur : Albin Michel / Les Grandes traductions
192 pages – 18€
Parution : 1er février 2017