Lettre ouverte à Baxter Dury à propos de sa dernière œuvre collaborative : B.E.D.

Plutôt client des productions de Baxter Dury, et du personnage en général, notre rédacteur a décidé cette fois de s’adresser directement à l’artiste anglais pour évoquer sa fructueuse collaboration avec Étienne de Crécy et Delilah Holliday.

Baxter Dury & Etienne de Crecy & Delilah Holliday – B.E.D

« Ça y est, Baxter, on les entend déjà râler, les jaloux, les rageux, les gardiens du temple rock’n’roll, les puristes ! Ça devait t’arriver, ce retour de bâton, vu la quantité étonnante de gentillesses écrites sur toi lorsque tout le monde a célébré ton « Happy Soup » ou ton « Prince of Tears« … Et va pas te plaindre : en plus, pour ton malheur, tu fais partie de la secte maudite des « fils de… », et dans ton cas, circonstance aggravante, d’un type qu’on a trouvé pertinent de transformer en mini-icône après sa disparition, lui qu’on n’avait pas non plus trop pris au sérieux de son vivant : trop décalé, trop clown, pas assez artiste maudit malgré son handicap qui aurait pu être un truc « vendeur »…

Déjà, on te soupçonnait de pas être un gars trop sérieux non plus, avec ta tronche de fêtard sur les rotules après trop de nuits blanches terminées à biberonner du cava tiède, une fille saoule endormie sur les genoux, dans un hôtel miteux d’Ibiza dévasté par une horde de hooligans en goguette. Le genre… ton genre… Avec tes disques ni faits ni à faire, sauvés à chaque fois par quatre mélodies merveilleuses, par une poignée de textes bien torchés, et, admettons-le, par la magie improbable de ta voix… qui a cet effet bizarre sur les femmes, enfin celles qui sont restées. Avec aussi ton attitude bizarre sur scène, tes coups d’arrogance punk comme papa, et puis cette gentillesse désarmante qui transparaît par instants : pas à la mode, ça, la gentillesse, coco !

Il faut dire que, cette fois, avec « B.E.D » (un acronyme bien trouvé, on te l’accorde, le truc qui a dû te venir à l’esprit sans trop de forcer l’autre petit matin quand tu t’es réveillé sans bien savoir où tu étais dans un plumard à côté d’une blonde un peu grasse qui ronflait…), tu as poussé la plaisanterie un peu loin, et ça n’allait certainement pas les faire rire, ni les rockers sur le retour, ni les esthètes qui savent toujours mieux que toi ce qui est bien, ce qui « fait du sens » dans « l’histoire du Rock ». D’abord une collaboration avec Etienne de Crécy, ce français un peu strange qui fait de l’électro rachitique, bonne à être diffusée pendant qu’on fait ses courses au Lidl… ce qui envoie une sorte de message comme quoi t’avais pas trop envie de te fatiguer à composer, cette fois. Et puis le coup, prévisible quand même vu tes antécédents, de laisser une bonne partie du chant à une punkette londonienne à peu près inconnue, ce qui te permet de glander un peu plus encore. Et puis ce « chant », Baxter, ce chant ! C’est pas un peu n’importe quoi ? Des borborygmes assaisonnés à l’accent cockney, avec le quota habituel de grossièretés, ou bien des gémissements de mec qui vient de se prendre un bon coup de pied dans les cojones : mais où elle est passée, ta fierté d’artiste ?… qu’ils vont tous te demander ! Cerise (petite, la cerise…) sur le gâteau (pas frais le gâteau…), il fait même pas la demi-heure syndicale, ton foutu album : non, mais tu te fous de la tronche des naïfs qui vont l’acheter, ton disque ? Bon, c’est vrai aussi que plus personne n’achète de disques depuis longtemps, et qu’encore moins de gens prennent la peine d’écouter un album entier et dans l’ordre, tu me diras… Alors, pourquoi se fatiguer ?

C’est une pente savonneuse sur laquelle tu t’es engagé, Baxter, gaffe au grand casse gueule ! Mais bon, nous on dit ça, c’est pour ton bien…. parce que, franchement (mais que ça reste entre nous…), il nous plaît bien, ton « B.E.D« , même qu’on l’écoute en boucle dans la cuisine en faisant bouillir l’eau pour les pâtes et en dansant comme des ours autour de la table. Ou bien effondrés sur notre canapé jaune canari en terminant le douzième Ricard du début de soirée. Ou bien en regardant sans la voir la rue en contrebas où se pressent les passants fuyant les premiers froids d’un hiver précoce. Ou bien blottis bien au chaud dans un L.I.T bien plus accueillant que ce monde où les animaux s’éteignent et où les fascistes s’éveillent. Alors nous, on va te dire encore une fois « Merci », Baxter… Merci pour cette dose homéopathique de bonheur simple, d’humour facile, de classe involontaire. Et si l’homéopathie ne fonctionne pas – puisque les spécialistes le disent -, alors vive l’effet placebo ! »

Eric Debarnot

Baxter Dury, Étienne de Crécy et Delilah Holliday – B.E.D
Label : Heavenly / PIAS
Date de parution : 26 octobre 2018

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