Zannad et Moran : dix ans pour peaufiner The Last Detail

Dix ans après une première percée dans le flux impitoyable des sorties indé, Erin Moran et Mehdi Zannad font cause commune dans un album pop qui n’usurpe pas son patronyme, précis et riche qu’il est, jusque dans ses moindres détails.

The Last Detail
photo : Yannis Roger

The Last Detail, le projet de Mehdi Zannad et Erin Moran, que les plus fidèles benzineux ont croisé en ces pages quelque part dans la première décennie de ce nouveau siècle sous les noms respectifs de Fugu et A girl called Eddy, est ce genre d’album qui perd les critiques musicaux amateurs : on aime dès la première écoute mais ensuite, pour exprimer à la fois le ressenti et la richesse intrinsèque de ce genre d’album, on sait qu’on va inévitablement finir en enfilant les poncifs le plus plats ou les comparaisons vaseuses ineptes à expliquer vraiment l’oeuvre soumise à notre écoute. Et l’égo du critique a du mal à l’admettre.

Parce que The last Detail, qui tire – et ce n’est pas un hasard – son patronyme d’un film seventies avec Jack Nicholson est ce genre de disques qui furètent dans mille directions pop en seulement 13 chansons, comme autant de vignettes sonores et filmiques qui oscillent entre plusieurs ambiances. Avec pour commun dénominateur une classe subtile et charmante.

Pont entre la France de Zannad et l’Angleterre de Moran, the last detail en jette un aussi avec le label madrilène qui les héberge, Elefant Records qui aime les groupes pour lesquels il faut gratter le vernis de l’immédiateté pas évidente à chaque titre, pour trouver la substance. Il y’a du métissage folk et pop dans cet album un peu à la manière de Gorky’s Zygotic Mynci époque Barafundle ou le Boo Radleys post bruitiste mais chanté alternativement par une fille ou un gars qui cultivent une mélancolie douce comme un pull en mohair à l’approche de l’hiver. Il y a l’immédiateté pop des Anglais du tournant du siècle dans The Last Detail, inspirée des sixties, mais cuisinée ici avec une classe un peu dandy qui ajoute un piano ici, un arrangement de cuivres là, pour rendre le tout totalement chic à la Phoenix ou Tahiti 80.

On oscille entre ballade folk presque fluette et amplitude pop qui n’hésite pas parfois à distordre la guitare aux limites du shoegaze. Et quand, après un de ces épisodes aux antipodes l’un de l’autre, les cuivres explosent, on est pas loin de se rappeler les émissions musicales sous l’égide de Guy Lux dans nos bambines années 70. The last detail est un album qui déroute les références, pour mieux charmer. Souvent vaporeux, The last detail est fait d’une subtile alchimie qui passe d’une ambiance à l’autre, d’un rythme mélancolique à une ballade à peine pluvieuse… Comme la parfaite bande son du film imaginaire cité plus haut, sis dans une uchronie qui se déroulerait devant nos yeux. Un « Music from the original picture » découpé en treize titres où des scènes d’action succéderaient aux questionnements amoureux des protagonistes et aux scènes de voyage, quelque part dans le tunnel entre la France et l’Angleterre pré Brexit.

Je m’arrête là. L’avantage du temps qui a passé entre les albums de Fugu, ou A girl called Eddy et la parution du Last Detail aujourd’hui, est qu’une critique où le chroniqueur tourne visiblement autour du pot sans savoir totalement décrire son plaisir d’écoute, peut désormais se doubler, immédiatement après, d’une découverte réjouie sur une plateforme de streaming. Ca n’existait pas à l’époque. Tu as de la chance internaute !

Espérant donc que mes circonvolutions linguistiques vous donnent envie de vous lancer dans l’écoute paisible mais loin d’être monotone d’un album qui fait feu de bois multiples, sans perdre sa prestance élégante.

Denis Verloes

The Last Detail – The last detail
Elefant records
Sortie le 2 novembre 2018