Un exercice de réhabilitation de la dernière saison de Game of Thrones ?

Maintenant que la poussière est un peu retombée, et que les esprits se sont calmés, il est temps de revenir sur cette dernière saison de Game of Thrones qui a sans doute plus agité la planète que les crises de Donald Trump ou, pire sans doute, le changement climatique.

Emilia Clarke – Copyright HBO

Si vous faites partie des 0,1% de la population mondiale qui n’a pas encore vu cette dernière saison de Game of Thrones, alors, oui, le texte qui suit regorge de spoilers !

Il m’a semblé important de laisser passer un peu la vague d’hystérie globale qui a accompagné la diffusion de la huitième et dernière saison de la série la plus monstrueusement populaire de l’histoire de la télévision, pour échapper aux torrents de haine et de mépris déversés via les réseaux sociaux sur les têtes des scénaristes et show runners de Game of Thrones, voire même à la pétition (on croit rêver) demandant le remplacement pur et simple de ces six épisodes par quelque chose de plus en ligne avec les attentes des fans, et plus respectueux vis-à-vis des principes de l’œuvre de George R. R. Martin… Important, mais illusoire, parce que j’imagine que, finalement, mes conclusions ne seront guère différentes de celle que n’importe quel spectateur ayant réussi à rester objectif dans ce contexte… difficile.

Il est tout-à-fait indéniable que, comme c’était d’ailleurs déjà le cas dans la septième saison, David Benioff et D.B. Weiss ont délaissé totalement l’intégrité de la construction romanesque ambitieuse des romans (…paraît-il, je ne les ai pas encore lus…) et de la série jusqu’alors. Ils ont sacrifié ce choix remarquable d’une vision à la fois « stratégique » et « sociologique » de ces luttes politiques et ces guerres imaginaires, mais pas si éloignées de l’histoire britannique au Moyen Âge, pour la remplacer par un gloubi boulga psychologisant beaucoup moins original, et très peu crédible : de la chute accélérée de Daenerys dans une folie autoritaire et criminelle, à la coucherie improbable entre Jaime et Brienne, en passant par la réduction du pseudo-super héros Jon Snow à un amoureux pusillanime et bêlant, il y a de quoi pester devant la simplification réductrice de cette trajectoire finale de personnages jusque là complexes. Pire encore sans doute, les huit épisodes de cette dernière saison renferment tous leur lot de moments littéralement aberrants, à tous les niveaux : mentionnons pour le pur plaisir de râler le sacrifice absurde des Dothrakis lors du premier assaut contre l’armée des morts, la liquidation express d’une seule flèche de l’un des dragons, le manque de considération – voire d’intérêt – des survivants vis-à-vis d’Arya, qui a quand même sauvé à elle seule la totalité du continent de Westeros, et oublions la bonne vingtaine d’autres raccourcis et oublis, incohérences plus ou moins sérieuses qui ont sans doute permis avant tout à HBO de boucler sa saison phare à l’intérieur d’un budget certes colossal mais non élastique.

Pourtant, pourtant, tout ce travail bâclé n’a pas fondamentalement gâché le plaisir que m’a procuré une dernière fois une série qui a même réussi à atteindre un niveau spectaculaire littéralement dantesque, et faire souffler un ouragan épique dans nos salons. Le troisième épisode et son combat nocturne interminable contre le déferlement incessant des vagues de morts-vivants a ainsi su faire naître en nous une frayeur et un accablement inhabituels dans un tel méga-spectacle populaire. Même si le taux de survie de nos héros à la fin de cette nuit de cauchemar s’est avéré invraisemblablement élevé, il faut bien reconnaître que nous avons sombré durant de longues minutes dans un abime nihiliste qui n’a finalement pas de prix. J’en ai même souhaité que finalement, celui monte sur le Trône de Fer soit le Night King, ce qui aurait été finalement une conclusion audacieuse, et aussi une leçon méritée administrée à tous ces monstres et ces lâches que nous avons vus s’ébattre et s’étriper sans honte durant huit années…

 

Lena Headey – Copyright HBO

Il faut maintenant en venir à ce qui constitue à mon sens l’honneur de cette saison, et de la série toute entière, c’est cet éprouvant cinquième épisode : en nous montrant très longuement les horreurs de la guerre (l’extermination de la population civile décrétée – et exécutée, pour le coup, sans intermédiaires – par un tyran paranoïaque ivre de pouvoir absolu), Game of Thrones, quitte le domaine tellement confortable de l’Heroic Fantasy, trop souvent complaisante avec la violence et ne daignant jamais s’interroger sur les conséquences humaines de celle-ci, pour nous parler (… enfin ! me direz-vous…) de nous et de notre monde. Le clou est superbement enfoncé dans ce qui est sans doute la scène la plus forte du tout dernier épisode (épisode qui me paraît à moi remarquable, j’y reviendrai), celle de l’assimilation des troupes de Danaerys aux hordes nazies : les dents des fans ont apparemment grincé de voir leur blonde héroïne, même très déséquilibrée, assimilée à un criminel absolu, mais c’est pourtant exactement de cela qu’il s’agit dans Game of Thrones, les luttes intestines de médiocres despotes aveuglés par le Pouvoir et rêvant en permanence de refaçonner le monde à l’image de leurs rêves paranoïaques, sans aucune préoccupation réelle derrière leurs discours idéologiques (la fameuse « Roue » que veut briser Danaerys…) pour leurs peuples.

Il aura donc fallu huit saisons pour que Game of Thrones devienne une série adulte, et cette maturité a déplu à une grande partie de ses fans, ce qui était inévitable… Et la réussite absolue de ce dernier épisode courageux, c’est de mettre en images l’intuition géniale de J.R. Tolkien à la fin de son Seigneur des Anneaux – que l’inepte Peter Jackson avait complètement loupé dans son adaptation cinématographique par trop infantile : après le temps de l’héroïsme, vient inévitablement le temps des désillusions. Entre Jon Snow, héros perpétuellement minable (je n’ai jamais personnellement compris ce que l’on pouvait trouver à Kit Harington, sans doute l’interprète le plus faible de la série, mais sa mollesse exsangue correspondait parfaitement à l’inconsistance de son personnage…) s’enfonçant dans le Grand Nord et Arya King préférant la griserie de l’errance et partant découvrir SON Amérique, en passant par la remarquable conclusion sur les débats du conseil du nouveau roi discutant de la réouverture des bordels, et bouclant donc la boucle avec la première saison, ce que nous dit cet épisode, c’est, résumé en deux phrases-slogans : « Tout ça pour ça ? » et « Meet the New Boss, Same as the Old Boss ! » (The WhoWon’t Get Fooled Again). Cela n’a rien de plaisant à admettre, c’est pourtant essentiel de comprendre la vanité ignoble de tout ce qui a précédé.

 

Isaac Hempstead Wright – Copyright HBO

En épilogue de ce qui s’apparente finalement à une réhabilitation de cette dernière saison, je saluerai au moins deux positions courageuses et pas si politiquement correctes que cela, de cette conclusion (et de la série toute entière, d’ailleurs) : l’admission – fort choquante – que l’amour peut exister dans l’inceste, à travers le couple Cersei – Jaime dont la mort sublime la passion, et la romance entre Danaerys et Jon Snow, où jamais la proche parenté des deux amants ne semble poser problème, à la différence de leurs divergences sur la notion de pouvoir ; la reconnaissance que si la Femme est bien sans aucun doute supérieure à l’Homme, son triomphe ne signifie aucunement que le futur de l’humanité soit pour autant « entre de bonnes mains » !

Eh bien, savez-vous, et même si je déplore comme vous que Jon Snow ait abandonné après la bataille contre les Morts son fidèle loup blanc sans même une caresse, je crois bien que, avec tout cela, la balance penche du bon côté. Et que cette dernière saison de Game of Thrones est une petite réussite.

Game of Thrones – Saison 8
Série TV anglo-américaine de David Benioff et D.B. Weiss
Avec Peter Dinklage, Lena Headey, Emilia Clarke, Kit Harrington, Sophie Turner, Nikolaj Coster-Waldau, etc.
6 épisodes d’une heure environ
Mise en ligne : avril et mai 2019