Nev Cottee – River’s Edge ou de la vie de l’âme vagabonde

Découvert par un plus large public par le somptueux Broken Flowers, Nev Cottee persiste et saigne avec River’s edge son quatrième album hanté par le spectre de Leonard Cohen et le sens de la dérive du jeune Neil Young.

En musique, il y a d’un côté les stakhanovistes qui sortent des disques plus vite que leurs ombres. Malheureusement, pour ces artistes-là, quantité ne rimait pas toujours avec qualité. Et puis, il y a ceux que j’appelle les Mallickiens (surtout pour la première période de l’auteur de Badlands, on passera rapidement sur les quelques pieds dans le tapis récents). Ces obsessionnels qui reviennent toujours à leur ouvrage, ne cessent d’interroger les limites de leur art. Nev Cottee est quelque part entre ces deux écoles.

River’s Edge fait suite à Broken Flowers, le disque révélateur comme du papier d’argent de l’immense talent de l’anglais à peine deux ans après. Le monsieur semble accélérer le rythme de sa production comme si Broken Flowers avait déclenché ou libéré quelque chose, un je ne sais quoi que l’on ne serait définir mais qui nous fait irrémédiablement revenir  à l’univers du mancunien.On jurerait avoir mille fois entendu ces mélodies ailleurs ou même en mieux. La réalité, c’est que les chansons de Nev Cottee nous sont immédiatement familières car elles possèdent cette noblesse de la vertu Pop, cette immédiateté évidente, cette empathie qui crée du sens et du lien.  Pour cette manière d’être si anglais mais aussi anachronique face à ses contemporains, en dehors du temps et des modes, on ne trouvera comme compagnon de route que Richard Hawley et ses balades doucereuses. Sauf qu’Hawley serait le rat des villes et Cottee celui des champs. L’un répandant son amour des coins de rue de Sheffield, l’autre privilégiant les âmes vagabondes sans domicile fixe.

Car Nev Cottee pour Broken Flowers s’était dérouté quelque part du côté de l’Inde pour tirer de cette philosophie de la vie différente une certaine distance face à lui-même et une contemplation enfin possible. Car pour River’s edge, il est parti à Majorque, en est revenu avec des senteurs et des fragrances. De ces tribulations, il en a tiré le meilleur comme ce duo sensible sur Roses avec une parfaite inconnue croisée dans les rues de Barcelone, Veronica.

Bien sûr l’ombre du Leonard Cohen de toutes les périodes plane sur le disque, le crépuscule de You Want It Darker (2016) comme celui des débuts. Bien sûr, on y sent la présence du jeune Neil Young au sommet de son art. L’anglais tente de nouvelles pistes comme avec le très Pop Hello Stranger comme une réponse à la voix rauque de Mark Lanegan. Ce qui est sûr, c’est que Nev Cottee s’inscrit dans une école en dehors des écoles, piochant dans une culture musicale que l’on imagine immense. De Laurel Canyon à Tom Waits, il pose sa voix traînante entre murmure et long étirement avec une sensualité désespérée. Épaulé ici par l’indispensable Nick McCabe, guitariste de The Verve qui apporte un relief supplémentaire avec son jeu si caractéristique mais aussi Chris Hillman croisé avec Billy Braggs, Nev Cottee n’est jamais meilleur qu’au bord de la respiration, à la presqu’extinction de l’être. Prenez le titre River’s Edge, la fragilité palpable de l’ensemble, cette épure, cette mélodie à l’os. On retrouve cette sécheresse paradoxalement chaleureuse que l’on va chercher dans les disques de l’irlandais Adrian Crowley.

Alors que le son va indéniablement chercher  dans ses racines du côté de l’Amérique, sans doute la faute à cette guitare slide omniprésente tout au long de River’s Edge, il sera bien difficile de localiser ce disque apatride. Nev Cottee semblant se plaire à créer un lieu imaginaire, un espace simplement tranquille. Partant de titres divinement arrangés en début de disque, Nev Cottee tend vers le dénuement plus il avance, Scattered Leaves en conclusion se posant là comme quelques points de suspension. Des klaxons de voiture de Nightingale qui nous éloignent lentement du trafic au bruissement de la nuit en clôture, on traverse mille états, cent métamorphoses. Du citadin fébrile,nous voila en simple marcheur sur les hauteurs d’une colline avec cette fatigue qui harasse celui qui a trop franchi de kilomètres, avec l’hypnose inévitable qu’entraîne la monotonie du pas. Nous sommes au-delà de la fatigue, terrassés par la torpeur mais tellement bien. Savez-vous qu’il y a toujours chez celui qui a trop marché une forme de clochardisation, un changement d’état, un épuisement des sens et de la raison ?

Il en faudra bien du chemin pour atteindre le bord de la rivière, les ondes tranquilles pareils à des spectres d’émotions, c’est sûr, la voix de Nev Cottee sera notre guide et saura nous montrer le chemin.

Greg Bod

Nev Cottee – River’s Edge
Sortie le 28 juin 2019
Label : Wonderfulsound