KIM : « Daniel Johnston savait capturer des instants uniques de musique absolue »

En juillet dernier, KIM proposait un disque de reprises du regretté Daniel Johnston pour résultat tout bonnement épatant avec des interprétations drôles, variées, généreuses et inventives, fidèles à l’esprit singulier de ce chanteur décédé le 11 septembre 2019 à l’âge de 58 ans. KIM évoque aujourd’hui son rapport aux chansons de Daniel Johnston et sa rencontre avec le bonhomme en  2012.

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credit : Josh Head – wikimedia

Daniel Johnston est mort. J’ai reçu cette phrase sur mon téléphone en SMS de la part de mon ami Sébastien. C’était le soir et je n’ai pas immédiatement compris la nouvelle, tant pour moi, Daniel Johnston était immortel. Lui, cet éternel enfant pouvait donc mourir aussi. La tristesse s’est emparé de moi d’un coup. De nombreux fans de sa musique étrange, enfantine et spontanée ont du ressentir la même chose. J’ai revu alors une vingtaine d’années de souvenirs se dérouler dans ma mémoire.

En 1992, j’ai entendu it’s over. La tristesse de cette chanson, avec cette voix ingénue, ce creux rythmique et ces cris possédés, conjugués à la prise de son limpide (et ca n’est pas si souvent avec Daniel Johnston) m’a séduit immédiatement. Il y’avait quelque chose de Gimme shelter des Stones sans aller jusqu’au bout du drama et en lui préférant la brutalité. On a d’ailleurs parlé d’art brut pour Daniel Johnston mais je ne suis pas d’accord. En 1992 j’ai ressenti à l’écoute de it’s over que c’était ça, la Pop. Une prise proche du ressenti. Pas de triche. Peut-être même, comme dans le dub, l’envie de présenter de l’inachevé. On parle de sentiments en cours de réalisation, comme dans une chanson de Christophe. On ne sait pas où ça va et c’est ça qui donne une grande liberté. Où va Christophe avec sa veste de soie rose ? On sait pas. Et Daniel dans sa speeding motorcycle ? On sait pas. J’ai découvert la version des Pastels d’abord. Puis celle de Yo La Tengo et du coup la face B live Tell me now. La pureté de l’écriture, l’immédiateté du sentiment à même le tube de peinture pouvait rappeler le fauvisme et bien sûr Lennon. Justement on a dit « ce sont des tubes » en parlant du terme musical. Mais il manquait, soit disant, la qualité du son Hi-Fi. Oui, on a parlé de Lo-Fi aussi. Et j’en ai rien eu à secouer. J’étais un fan de musique industrielle quand j’ai découvert Johnston, alors le fait qu’il enregistre sur un dictaphone mono ne m’a pas perturbé. Non sujet. En revanche cette voix m’a hanté longtemps. C’est la même que celle de Robert Smith à ses débuts, quoique plus hystérique. La voix d’un enfant qui se bat avec son adolescence et sa timidité. Quand j’ai découvert Daniel Johnston je venais aussi de découvrir Dominique A qui conseillait les disques du texan. Peter Parker Experience aussi. La « lo-fi »battait son plein. Oui, c’était l’inverse d’un son Hi-Fi. Mais la « lo-fi » c’était bien plus que ça. C’était la chance pour des néophytes de s’inventer pop singer. Comme du temps des punks. Fais le toi-même. Une chance pour les timides. Daniel Johnston c’est un gamin dans sa chambre qui dit « pourquoi pas moi ? ».

« Nous n’avons pas joué avec un maniaco-dépressif, ni un chanteur fatigué, ni une icône de la lo-fi ou de l’art brut, mais bel et bien avec un grand musicien… » (KIM)

Grâce à lui je suis devenu musicien en me disant « je vais essayer aussi ». Peur de chanter en public? Danny aussi. Pas de moyen technique ? Danny non plus, la plupart du temps. Les années passaient. Un jour c’est arrivé. Le hasard m’a mis sur sa route. Le tourneur français de Daniel Johnston m’engage en 2012 pour monter un backing band pour accompagner Daniel Johnston. J’en parle à mon ami Sébastien Adam (celui du SMS) et nous tournons avec Danny. Seb comme pianiste/guitariste, et moi comme batteur/guitariste.
La voix sur it’s over en live ! Rien que d’y penser j’en ai la chair de poule. Même fatigué, Daniel Johnston avait cette voix sans triche. Je peux en témoigner : nous n’avons pas joué avec un maniaco-dépressif, ni un chanteur fatigué, ni une icône de la lo-fi ou de l’art brut, mais bel et bien avec un grand musicien, de ceux qui jouent avec la télépathie. De ceux qui sont leurs notes, sans même les jouer. Après cette tournée j’ai écrit une chanson pour Daniel Johnston. Je veux dire, une chanson qui lui est adressée. Je n’ai pas osé l’envoyer. De peur qu’il passe à côté de mon message de remerciement et qu’il me demande « qu’en aurait pensé Lennon ? » comme il me le demandait pour tout et rien durant la tournée. John Lennon l’obsédait.

En 2018 on m’invitait à jouer du Daniel Johnston en live à Paris sur un concert entier, en solo. Puis des amis me mettaient au défi d’enregistrer un album de reprises de Danny. Un label, Folkmica, se montait même sous l’impulsion de ce nouveau défi, jusqu’à proposer l’édition d’une cassette. L’album sortit en juin 2019. Trois mois plus tard Sébastien m’envoyait un SMS. Je ne crois pas à la vie après la mort. Mais j’espère quand même que Daniel a rejoint John quelque part. Toute sa vie il a repoussé l’âge adulte. Et grâce à lui nous avons des joyaux d’enfance magnifique, peintes ici, chantées là, sur des enregistrements ou l’on perçoit ce que Daniel Johnston appelait le diable, mais que nous, nous pouvons appeler l’instant. Car tout comme Pialat savait arrêter le temps dans ses films, Johnston savait capturer des instants uniques de musique absolue. Et qu’on ne vienne pas nous emmerder avec la prise de son ou la notion élastique du temps qu’avait Danny. Il était rempli de musique. Merci Daniel Johnston.

Kim Giani – septembre 2019

Kim – Sings Daniel Johnston
MK Label – 28 juin 2019