Papicha : portrait d’une résistante dans l’Algérie des années 90

Avec Papicha, Mounia Meddour revient sur les « années de plomb » de l’Algérie des années 90. Derrière le discours militant contre le fanatisme religieux, la cinéaste dresse le portrait d’une belle résistante.

Papicha

A ce jour, le public algérien n’a pas pu voir Papicha – les projections prévues à partir du 20 septembre ont été annulées sans explication. Preuve s’il en est qu’un film sur l’Algérie des années 90 avec la montée de l’intégrisme musulman (une lutte intestine qui a coûté la vie à plusieurs dizaines de milliers d’Algérien) est un sujet ô combien sensible dans une période agitée pour le pays. Et le portrait de cette jeune résistante en lutte, qui décide de monter envers et contre tous un défilée de mode, n’a pas de quoi plaire aux autorités en place. D’autant plus que le film est tiré d’une histoire vraie

papicha-afficheDe ce côté-ci, ce premier long-métrage de Mounia Meddour poursuit son petit bonhomme de chemin. D’abord présenté au festival de Cannes dans la section « Un certain regard », Papicha a obtenu trois prix au festival du cinéma francophone d’Angoulême – Valois du public, Valois du scénario et Valois de l’actrice ex-aecquo pour Lyna Khoudri.

Dès la première scène, le ton est donné. Suivies par une caméra nerveuse, deux jeunes femmes errent de nuit en essayant de ne pas se faire repérer.  On pourrait croire à deux évadées, deux délinquantes fuyant la police (le même sentiment d’oppression qui parcourait tout Le Cercle de Jafar Panai). Mais ce n’est en fin de compte que deux étudiantes qui font le mur pour aller s’amuser en boîte  Une fois dans un taxi complice, elles peuvent se changer, revêtir des tenues plus sexy, se parer de bijoux ; Nedjma et Wassila redeviennent ce qu’elles sont, deux jeunes femmes de leur époque, libres et coquettes.

Dès cette première scène, deux problématiques se mettent en place. Tout d’abord, la différence entre l’intérieur (qui permet d’être plus libre) et l’extérieur, l’espace public, toujours associé une menace bien réelle. Dans le film, l’intégrisme se propage petit à petit, devenant de plus en plus dangereux (jusqu’à l’assassinat de masse). Et le signe le plus probant de cette terreur réside bel et bien dans le fait que cet extérieur intégriste, tel un cancer, se propage bel et bien dans les intérieurs, dans la sphère privée. L’université, lieu encore préservé de l’inculture des islamistes, lieu où d’ailleurs on peut encore parler le français, ne peut plus jouer ce rôle de refuge.

L’autre enjeu du film a trait au vêtement, élément le plus visible du fanatisme religieux et de la soumission des femmes. Face à cette barbarie qui oblige à porter le voile, Nedjma oppose son travail de styliste et sa volonté envers et contre tous de faire un défilé. Dans Satin Rouge de Raja Amari, l’émancipation de la femme passait par la danse orientale, ici c’est par le vêtement, élément de mode de prime abord futile mais qui devient dans ce contexte fanatique le bras armé de la résistance. La bonne idée de Nedjma (et de sa réalisatrice) est ici d’imaginer une collection faite exclusivement à partir de Haiks, vêtements traditionnels du Maghreb. Par ce détail, Meddour affirme que les vraies racines de la culture algérienne sont à chercher ici ; dans le travail et la vision de Nedjma plutôt dans ce fanatisme venu d’ailleurs qui s’approprie une religion en la travestissant (c’est le cas de le dire). La sensualité est ici un combat et tout naturellement, la mise en scène de Mounia Meddour, par ses plans qui effleurent les corps et les visages, favorise la sensualité. Jusqu’à ce que la violence surgisse sans crier gare.

On pourra trouver ça et là quelques maladresses, notamment dans la volonté pour la cinéaste d’embrasser toutes les causes féministes (par exemple, le mariage forcé, la tragédie d’être enceinte hors mariage) – écueil fréquent du film à portée militante. Mais, on ne pourra que louer le portrait de femme que dresse Mounia Meddour. Porté par la jeune Lyna Khoudri (dont on reparlera sans doute), le personnage de Nedjma est montré telle une Antigone moderne, prête à mourir pour ses convictions. Mais à la différence de l’héroïne grecque, Papicha lui permet de vivre, lueur d’espoir face à l’obscurantisme.

Denis Zorgniotti

Sur notre page facebook et twitter, des invitations sont à gagner pour deux personnes en répondant à la question suivante : « dans quelle compétition, Papicha a-t-il été présenté à Cannes ? 

Papicha
Film algero-franco-belge de Mounia Meddour
Avec Lyna Khoudri, Shirine Boutella, Amira Hilda Douaouda…
Genre : Drame
Durée : 1h47
Sortie : 9 octobre 2019