« L’Espoir malgré tout, 2e partie » : Spirou et l’Armée des Ombres

Critiqué pour des choix provocateurs dans la première partie de sa chronique de l’Occupation en Belgique habillée en « origin-story » de Spirou, Emile Bravo rectifie le tir dans ce second tome plus convaincant. Et plus fort.

Après le véritable miracle qu’avait constitué en 2008 la parution du Journal d’un ingénu au milieu d’une collection Le Spirou de… qui ne parvenait pas à décoller, Emile Bravo s’est donc lancé il y a 2 ans dans une quadrilogie à l’immense ambition : celle de nous faire revivre aux côtés des personnages emblématiques de Spirou et Fantasio la seconde guerre mondiale, racontée non pas d’un point de vue militaire, mais de celui des populations occupées (ici les Belges, mais les situations décrites ici ne sont visiblement guère différentes de celles vécues par nos parents et grands-parents de 1940 à la libération…).

Le premier tome de L’Espoir malgré tout traitait de la mise en place du régime de l’Occupation, et de la terrible confusion, aussi bien matérielle qu’idéologique, causée par un changement brutal de toutes les règles. L’effondrement – incroyablement rapide – des certitudes et la perte de ces repères moraux que l’on pense toujours mieux établis qu’ils ne le sont, rendaient ce Un mauvais départ souvent malaisant, et Bravo fut critiqué par les aficionados de Spirou pour avoir fait de Fantasio un opportuniste sans scrupule, collaborateur – pas très conscient, il est vrai – de l’occupant… presque un véritable « salaud ordinaire » !

Le bien-nommé Un peu plus loin vers l’horreur poursuit sans flancher le projet initial, alors que la Belgique s’enfonce dans la misère, la faim et les compromissions les plus honteuses,… et que se mettent en place les réseaux de résistance face aux Nazis. Spirou reste le personnage dont la naïveté enfantine et la générosité absolue permettent au récit de jeter une lumière crue sur les abjections qui abondent autour de lui, tandis que Fantasio se ressaisit (ouf !) et rejoint le « bon côté », même si c’est, ce qui est assez réaliste finalement, d’abord par pragmatisme, et ensuite par « amour » pour une jolie résistante. Autour d’eux, Bravo décrit un ballet effréné, incessant, de trahisons et d’abjections : l’extrême droite qui pactise puis rejoint l’ennemi, l’Église déchirée entre ses membres les plus traditionalistes qui adhèrent « naturellement » aux théories nazies et ses héros qui rejoignent l’armée des ombres, et puis le quidam moyen qui essaie juste de survivre au milieu du chaos. Même les enfants, qui ailleurs pourraient symboliser une sorte d’espoir, sont représentés de manière très pessimiste comme le reflet exact du monde des adultes, répétant les comportements de ceux-ci. C’est dire la noirceur absolue de ce livre, que Bravo essaie assez maladroitement d’illuminer de quelques traits d’humour « slapstick », voire des gags un peu faciles… dont honnêtement, on se passerait bien…

Car c’est bien lorsque l’Histoire fait basculer ses protagonistes dans l’horreur absolue, lorsque la persécution des juifs se met en place et que la déportation massive se déclenche, que l’Espoir malgré tout trouve – enfin – le bon ton, celui de la tragédie. Les dernières pages, accablantes, terribles, nous laissent refermer le livre – sous le choc – avec le sentiment d’avoir lu quelque chose d’important. Qui nous a rappelé la dimension de l’infamie humaine, et combien cette horreur est proche, encore et toujours, de nous.

J’imagine que l’on pourra encore déplorer que le projet d’Emile Bravo l’entraîne loin de l’univers joyeux de Spirou, et critiquer certaines maladresses narratives (plusieurs « tunnels » dans l’histoire, quelques incohérences dans le comportement des personnages…) mais, à la fin de ce second volume bien supérieur au premier, on ne pourra nier l’importance de ce travail hors du commun.

Eric Debarnot

L’Espoir malgré tout – Deuxième partie : Un peu plus loin vers l’horreur
Scénario & dessin : Emile Bravo
Editeur : Dupuis
90 pages – 16,50 €
Parution : 4 octobre 2019

L’Espoir Malgré Tout (Deuxième partie) – Extrait :