Alexandre Bergamini – Vague inquiétude : une allégorie du Japon traditionnel

Un quinqua qui n’a toujours pas fait le deuil de son frère décédé trente-huit ans plus tôt, arrive au Japon où il met ses pas dans ceux de son idole, le grand écrivain Atukagawa, pour visiter Tokyo et les montagnes désertiques du centre de l’île pour retrouver la paix et la sérénité dans le calme de la nature originelle.

A Bergamini
© Bernard Plossu

Trente-huit ans qu’il a perdu son frère et on a le sentiment qu’il n’a jamais fait le deuil de ce frère adulé. Ce cinquantenaire français entreprend alors un voyage au Japon, un pays qu’il aime particulièrement, où fleurit une littérature qu’il admire, notamment les textes de celui qui a laissé son nom au principal prix littéraire japonais : Ryünosuke Akutagawa. C’est donc sur les pas de ce grand écrivain qu’il parcourt les rue de Tokyo, principalement dans le quartier où est érigé le Kokugikan, le temple du sumo, où a longtemps résidé Akutagawa. Il ressent la même douceur, la même tranquillité, la même paix que celle que Yôko Hiramitsu dépeint dans sa déambulation gastronomique : Un sandwich à Ginza. Atteint, comme son idole japonaise, d’une hypersensibilité des cinq sens, l’auteur ressent des « sensations douloureuses, vibratoires, thermiques et tactiles » fortement affectées. Il se dépeint comme Akutagawa se décrivait : « Un hypersensible asocial. Je n’ai pas de principes, je n’ai que des nerfs… ». Cette hypersensibilité qui l’a sans doute empêché de faire son deuil, ce deuil qu’il voudrait accomplir à travers ce voyage dans le Japon traditionnel dépeint par les grands auteurs classiques : Kawabata, Inoué, Kafu, Soseki, Mishima et bien d’autres encore, comme le pays de la sérénité, du calme et de la beauté naturelle.

Vague-inquietude

« Je n’ai jamais trouvé une terre où vivre en paix ; j’ai vécu difficilement ailleurs alors que je me serais épanoui au Japon », où paradoxalement son idole n’a pas pu vivre puisqu’il s’est donné la mort, confie l’auteur, qui ajoute :  « Tout est à la fois si réel, incarné, et correspond tellement à mon désir le plus profond, le plus enfoui ». C’est rempli de ces sentiments et impressions qu’il entreprend un voyage initiatique au pays des ours agressifs dans la montagne centrale, une région rude, presque désertique mais où la nature est restée pure comme à l’origine. Une nature et un voyage qui évoquent la fameuse nouvelle de Schichirô Fukazawa : Etude à propos des chansons de Narayama que tout le monde connait depuis qu’elle a été portée à l’écran.

Ce voyage c’est une confrontation de l’auteur avec lui-même, avec le deuil qu’il n’a pas pu, su, faire, un ressourcement, une régénération, une expédition thérapeutique, une introspection curative au contact de la beauté originelle : « Nous sommes ce que nous regardons. Ce que nous regardons nous regarde à son tour. Nous devenons ce que nous contemplons ». Mais aussi une redécouverte de la littérature nippone, de ses chefs-d’œuvre et un retour vers l’écriture, l’acte d’écrire, l’envie d’écrire, le besoin d’écrire. « Ecrire un livre qui s’ouvre au monde, un livre qui ouvre le monde en soi et vous serre le cœur ». Un livre pour faire la paix en soi, pour faire enfin son deuil, vivre dans le calme et la sérénité, vivre en paix avec soi-même. Oublier cette « Vague inquiétude » qu’aurait évoquée, selon certains, Akutagawa avant de se donner la mort.

Ce livre c’est une allégorie du Japon traditionnel, du calme et de la sérénité qu’il dégage, de la quiétude qu’il peut insuffler à ceux qui savent le contempler. Mais, ce Japon n’est pas le seul Japon que j’ai rencontré dans mes nombreuses lectures nippones, il existe, face à ce pays idyllique né de la tradition sanctuarisée par les shoguns, un autre Japon beaucoup moins irénique : le Tigre asiatique qui cherche encore à dévorer l’économie mondiale même si, sur ce terrain, désormais la Chine et ses satellites le concurrencent férocement.

Denis Billamaboz

Vague inquiétude
Roman français de Alexandre Bergamini
Editeur : Philippe Picquier
158 pages –
Parution : 2 janvier 2020