Artùs – Cerc… et si les morts pouvaient danser ?

Si l’on devait faire simple pour dire beaucoup avec peu, on pourrait imaginer que Michael Gira et sa bande des Swans auraient émigrés quelque part du côté des Pyrénées pour distiller leur musique abrasive et régressive dans une langue de Gascogne ou d’ailleurs. Avec Cerc, Artùs poursuit une exploration d’une terre entre folklore et modernité.

L’avenir des musiques du monde, du moins des folklores ancestraux ne réside-t-il pas dans une forme de transfiguration, dans un échange entre les genres et les espaces-temps. Que ce soient les sud-coréens de Jambinai, Superparquet ou Cocanha, tous ces artistes ont bien compris que pour que ces musiques survivent au-delà d’un cercle restreint d’érudits, il fallait faire entrer en collision ces répertoires avec d’autres vocabulaires, d’autres codes. Bien sur les plus sectaires crieront au sacrilège, on les laissera à leur posture de replis sur soi ou de régionalisme exacerbée. Car les musiques du monde sont bien celles d’un monde justement, un monde vivant  avec une humanité qui circule et voyage.

Artùs a retenu cette leçon alors que le groupe fête cette année ses 20 ans d’existence. Cerc, leur sixième album, nous plonge dans les profondeurs des gouffres, dans les cavernes sombres comme si le groupe gascon cherchait une certaine forme d’authenticité en-dessous d’une réalité insipide, comme si pour mieux comprendre le monde, il fallait s’en éloigner. Comme si pour mieux s’extraire de soi, il fallait plonger sa main dans la terre meuble et en sortir les os blancs des ancêtres, les répandre en cendre sur le sol et y lire des signes pareils à des runes. Le chant en occitan mêlé à la langue française n’est jamais là pour faire « couleur locale » mais ce choix se veut plus comme une forme de tremplin vers une ouverture à une sauvagerie qui ne peut passer que par la transe et la répétition. Lentement les filtres s’effacent, les maîtres fous sont alors incarnés.

Comme leurs lointains cousins sud-coréens de Jambinai, Artùs fait appel dans son instrumentarium à des instruments traditionnels comme la vielle à roue d’un des frères Baudouin. Comme Jambinai, cet usage des instruments traditionnels ne leur sert pas à se rapprocher d’une scène folklorique mais à extirper de l’instrument son son archaïque et abrasif. Il faut donc comprendre dans cette démarche de « retour aux racines » plus une volonté esthétique qu’une démarche régionaliste.

Allant chercher la lourdeur d’un son du côté de Neurosis ou des Swans mais aussi ayant retenu la leçon d’un Lamonte Young ou du Einstürzende Neubauten de Blixa Bargeld, Artùs malaxe une matière abstraite et dissonante, une incongruité temporelle qui rend ces six plages difficile à positionner sur une géographie du monde. Même la voix sur Faust se fait plus lunatique, plus théâtrale que simplement chantée, plus démoniaque que seulement humaine.

Voici venu le moment de prouver par l’acte
Que l’humaine dignité ne le cède pas à la grandeur divine,
D’aller sans trembler vers cete caverne obscure
Où l’imaginaton se condamne à des tourments qu’elle s’infige elle-même

Artùs – Faust

Jamais la musique d’Artùs n’est inoffensive, elle peut-être brutale voire bruyante mais elle est toujours empathique, dirigé vers l’autre, lui tendant la main ou peut-être un miroir.

« Regarde-toi mon ami » semble-t-elle dire, « Regarde-toi sans jugement, sans hauteur ni humilité mal placée, regarde-toi tel que tu es en cet instant. » Car les chants d’Artùs sont finalement plus des chants de l’instant bien plus que d’un lointain passé. Ils nous montrent une condition humaine en souffrance mais une condition humaine ensemble dans un collectif, unie face à l’inquiétude et au drame qui approche.

Comme Emmanuelle Parrenin avant eux qui mariait Folk et chants des campagnes anciennes, Artùs dévoie un patrimoine pour mieux lui redonner vie à travers des constructions sourdes et lourdes qui ont l’intelligence et l’élégance de prendre leur temps. Leur musique devient alors une immense architecture à la fois savante et spontanée, complexe et limpide, charnelle et sensuelle, dansante et cérébrale. Car assurément le travail du groupe impose un rythme, le martèlement métronomique d’un pas lourd au sol dans ces grandes rondes, ces danses enthousiastes au milieu de la nuit.

Et pour ceux que cette démarche à mêler musique folklorique et modernité interroge, on rappellera que depuis toujours, l’histoire de la musique est constituée d’emprunts de jeunes artistes à leurs aînés, Grieg  qui s’imaginait en un collecteur de vieux airs norvégiens comme un Claude Seignolle musical, les chants campagnards d’Angleterre par Ralph Vaughan Williams ou encore les Chants d’Auvergne (1923) revisités par Joseph Canteloube. Ecrire de la musique ce serait peut-être justement retranscrire encore et toujours les mêmes sons et les mêmes notes mais dans un espace-temps sans cesse renouvelé.

Tout au long de Cerc, Artùs nous transporte dans un voyage immobile au fond de ténèbres, au milieu d’un chaos tout d’abord puis toujours plus loin, toujours plus profond au plus prés de quelque chose qui ressemble au silence essentiel,la quintessence même de la musique.

Greg Bod

Artùs – Cerc
Sortie le 27 mars 2020
Label : Pagans /Inouïe Distribution